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Les habitants de la commune rurale de Chabo l’appellent Monsieur. Plein d’énergie, Christophe Lacarin de Fabiani, un français de 64 ans, vit et travaille en Ukraine depuis plus de 16 ans tout en « fêtant » chaque jour de sa vie. Auto-entrepreneur, parfumeur et viticulteur, Christophe a créé dans un village connu au sud de l’Ukraine (la région de Bessarabie), un endroit accueillant et plein de vins de terroir faits selon sa propre méthode.

Même si on cultive le raisin aux quatre coins du monde, seulement quelques régions ont un potentiel assez particulier pour obtenir du vin vraiment d’exception.

Un vignoble réussi doit se trouver entre les 30e et 50e parallèles des latitudes nord et sud. La raison est simple: s’il fait trop froid le raisin n’aura pas le temps de mûrir et s’il fait trop chaud, le raisin mûrira trop vite et aura un goût trop particulier.

On pense souvent que les meilleurs vins peuvent s’obtenir sur le 45e parallèle, qu’on qualifie de « latitude idéale pour les grands vins ». Sur cette latitude se trouvent des grands vignobles connus comme par exemple ceux de Bordeaux et de Bourgogne ainsi que celui du Piémont en Italie.

Le climat est un des critères qui influence la qualité du raisin. Le vin est avant tout un produit qui dépend de l’endroit où il est produit. Les vignerons utilisent un terme spécial pour décrire cela — « le terroir ». Ce terme implique des critères comme par exemple le climat, le type de sol, le relief, la végétation de l’endroit. Tout cela influence le goût de raisin et de vin ensuite. Depuis des siècles les vignerons cherchent des endroits exceptionnels qui réunissent tous ces facteurs naturels si importants pour produire du bon vin.

Chabo

Avec la région de Nyzhnie Podniprovia, la Transcarpathie et la Crimée, la Bessarabie fait partie des grandes régions viticoles de l’Ukraine. Un de ses centres de viticulture est le village de Chabo. Il est situé au bord de l’estuaire du fleuve de Dnister non loin de l’endroit il se jette à la mer Noire. C’est à 8 km de la ville de Bilhorod-Dnistrovskyï et à 70 km d’Odessa.

Chabo est connu depuis longtemps comme un endroit propice à la viticulture. Ce village se trouve entre les parallèles 46 et 47, dits « latitude idéale des grands vins ». En plus de cela, on observe à Chabo un climat doux, de l’air chaud des steppes et un sol sableux. Ce sont des conditions idéales pour faire pousser et affiner le raisin.

L’histoire de Chabo a commencé il y a 500 ans quand des nomades turco-tatares ont fondé un village en le nommant Acha-Abag, signifiant « Jardins bas ». En XIX siècle, les immigrants du canton de Vaud de la Suisse romande sont venus ici en cherchant un endroit idéal pour produire du vin. A cause des particularités linguistiques, les suisses francophones ont appelé cet endroit d’abord Chaba et puis l’ont francisé en l’appelant Chabo.

Le premier immigrant et le fondateur de la colonie, Louis Tardant, a été viticulteur et botaniste suisse. Il est venu découvrir ces terres en 1822, ce qui est maintenant considéré comme l’année de la fondation de la commune de Chabo. Au fil du temps, le vignoble a progressivement occupé tout le bord de l’estuaire de Dnister.

Christophe

Christophe Lacarin est aristocrate depuis longtemps. Du côté maternel, il est marquis de Fabiani. L’activité principale de sa famille était la production de matériel de photographie et de cinéma. En plus de cela, depuis tout petit Christophe était habitué à travailler à la ferme familiale où il a appris à prendre soin des animaux, conduire un tracteur, cultiver du tabac et aussi faire du vin puisqu’il est originaire de Bordeaux. Christophe Lacarin a fait ses études d’économie. Plus tard, il a acheté une usine spécialisée en production de matériel photographique. Au bout de 7 ans, elle devint une entreprise prospère que Christophe revendit. C’est ainsi qu’un jeune marquis gagna son capital.

Christophe créa son premier parfum à l’âge de 10 ans en mélangeant deux flacons de parfum de sa mère. Christophe se souvient que sa mère fut très en colère mais cette passion ne l’a plus quitté. Pendant 3 ans Christophe a travaillé dans une parfumerie à Paris où il était chargé de créer de nouveaux parfums. En tant que partenaire, Christophe a coopéré avec des spécialistes en parfumerie de la fabrique cosmétique de Lviv (en Ukraine) où en un an et demi il a créé 21 parfums. Chacun de ses parfums portait un nom des personnages des œuvres d’Alexandre Pouchkine: Anna, Marie, Elizaveta, Natalia… Christophe a eu cette idée après avoir visité le musée de Pouchkine à Odessa.

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Le premier voyage de Christophe Lacarin en Ukraine a eu lieu en 2001. Il a été invité par son ami, un mécène français, qui organisait un concours de trompettistes à la ville de Ternopil. C’est là que Christophe fait connaissance avec la pianiste accompagnatrice du conservatoire d’Odessa, Marianne, sa future femme.

Pendant un an Christophe vécut entre Lviv et Odessa. Il se souvient de son premier voyage à Odessa comme si c’était hier:

— Je me souviens d’Odessa en 2002. Il était tôt. Un vieux taxi, la berline Pobieda (qui en russe signifie « Victoire »). Je demande le chauffeur: « Elle date de quand votre voiture? ». Il me répondit: « Je n’ai jamais compté son âge mais je sais qu’elle a été fabriquée en 1953 ». J’ai tout de suite pensé que c’était un bon signe!

En fin de compte, Christophe s’installa à Odessa pour fonder une famille avec Marianne. Le couple eut deux enfants: Sophie l’aînée et Marie — la cadette. En tout, Christophe eut sept enfants des mariages différents.

Christophe Lacarin
Car Christophe Lacarin est né en 1953

Des fontaines parfumées

En 2004, grâce à l’initiative de Monsieur Lacarin, dans le jardin public d’Odessa, on installe une fontaine qui pendant l’été dégage non seulement de l’eau mais aussi des odeurs. C’était son cadeau à la ville d’Odessa: en l’honneur du 210e anniversaire de la ville d’Odessa ainsi qu’à l’honneur de sa femme Marianne.

La fontaine « Une fontaine d’amour — une fontaine vivante » a été conçue par le peintre Oleksandr Tokariev. La sculpture montre un homme avec une femme et en dessous une coupe d’eau où on ajoutait tous les jours les 250 ml de parfum.

Les habitants d’Odessa votaient pour choisir le parfum. Christophe Lacarin a proposé un test de différentes fragrances au musée de Pouchkine à Odessa. Le tout a été animé par la musique jouée par Marianne et ses collègues. Les Odessites ont choisi un parfum avec des touches de mer et d’acacia.

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On dit que c’est un poème d’Alexandre Pouchkine qui a inspiré la création de « la fontaine de Bakhtchissaraï ». Et ce n’est pas pour rien puisque les deux fontaines suivantes — « La Fontaine d’amour » et « L’espoir de la Crimée » — furent créées par Christophe Lacarin pour la ville de Bakhtchissaraï (en Crimée). Et si l’odeur du parfum de la première fontaine était épicée, la deuxième fontaine sentait la lavande de Crimée.

En printemps 2008, une autre fontaine de Lacarin a vu le jour à la ville d’Alouchta en Crimée. Elle représentait une sirène à laquelle s’accrochaient trois grandes coquilles. Pour cette fontaine fut choisie l’odeur d’un parfum sucré.

Aujourd’hui, toutes ces fontaines ne fonctionnent plus.

Le château

Christophe Lacarin faisait souvent des tours en voiture dans les environs d’Odessa pour connaître mieux la région. Un jour, après avoir lu le poème de Pouchkine « Le raisin », il décida de se rendre au village de Chabo:

— J’ai vu un endroit absolument fantastique. Avec un climat parfait et un air tellement frais! Moins qu’en une semaine j’ai décidé de faire quelque chose ici.

Monsieur Lacarin apprit qu’on voulait éradiquer une partie du vignoble qui appartenait à l’époque au kolkhoze Lénine. Après avoir découvert qu’il y a une vigne des espèces très rares, il décida de louer cette terre. Les copropriétaires de la terre lui louèrent 150 hectares que le marquis se met tout de suite à cultiver.

Sur les terres que Lacarin louait, il y avait des caves, une cantine, une écurie où à l’époque il y a avait une brigade de tracteurs. Christophe fut avant tout intéressé par le fait que cet immeuble avait été construit par des colons suisses en 1822. C’était pratiquement la première maison habitée qui avait été construite sur cette terre historique. Dans son domaine agricole, le marquis installa lui-même toutes les communications nécessaires: de l’eau courante ainsi que la canalisation.

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Christophe montre l’endroit où il produit et stocke son vin. Le vin est fait selon les anciennes recettes françaises. A part cela, Lacarin produit du vin bio sans utiliser des ajouts chimiques par principe.

Dans l’exploitation de Chabo on voit tout le cycle de la production du vin: on fait des vendanges, on produit la boisson, on la met en barrique où elle vieillit et enfin on met le vin en bouteilles pour l’envoyer dans toute l’Ukraine. En France, on désigne le vin produit de cette manière par la dénomination « château », ce qui signifie que ce vin a été produit du début à la fin au sein d’un seul domaine viticole.

La phase de vieillissement du vin Chabo est de neuf mois minimum. Le marquis montre la cave où il y a des bouteilles datées de 2013-2015. En fonction du cépage de vin et de son type de résidu, les bouteilles se gardent sous un angle particulier. Il y a des bouteilles qu’il faut tourner quelques fois par jour.

Christophe Lacarin voit son domaine viticole comme un loisir plutôt qu’un business. Pour lui, c’est une très grande expérience créative:

— A chaque fois, il faut penser ce qu’on peut améliorer pour que cela fonctionne mieux.

Monsieur Lacarin fait pousser 14 cépages de raisin, parmi lesquels on trouve les 7-8 cépages principaux: le cabernet, le sauvignon, le rkatsiteli, le chardonnay, le pinot noir… Dans sa ferme Monsieur Lacarin a aussi des chiens, des chats, des poules, des brebis, des chèvres, etc.

Des pièges en affaires

Depuis quelques années Monsieur Lacarin soumet des différents documents et fait toutes les analyses de vin nécessaires afin de légaliser sa production et avoir sa licence de vente du vin. On lui a confisqué son équipement tout en scellant son entrepôt avec toute sa production déjà prête à être vendue. Lorsqu’on a commencé à voir sa situation de plus près, il s’est avéré que pour produire et vendre son vin Monsieur Lacarin doit posséder au moins 14 autorisations spéciales.

Au printemps 2016, Christophe Lacarin a reçu son permis ainsi que sa vignette de production artisanale, et puis un peu plus tard sa licence d’exportation. En plus de cela, en 2016 le Parlement ukrainien a annulé la licence de 500 000 grivnas pour la vente en gros du vin de la production artisanale.

Mais ce ne sont pas tous les problèmes du marquis. Les relations avec les propriétaires de son domaine se sont aggravées. Ainsi, à la fin de 2016 des inconnus ont essayé de détruire le vignoble sur le champ que loue Monsieur Lacarin. Notamment, ces gens ont essayé de voler des poteaux en béton qui tiennent les vignes. Lacarin a fait un appel à la police mais les malfaiteurs n’ont pas été punis:

— En Ukraine, on n’aime pas les concurrents. C’est un système monopoliste. En plus de cela, il y a de la corruption… Malheureusement, la corruption fait partie de l’ADN non seulement de l’Ukraine mais de toute la région. Dans les années 30 du XXème siècle, lors de la période de dékoulakisation et de la collectivisation (des campagnes de répression en Union Soviétique de 1929 à 1933 visant à confisquer le bien des paysans considérés comme « riches »). Les gens n’avaient pas de moyens d’existence et tout ce qu’il leur restait — c’était de voler pour pouvoir survivre.

Christophe Lacarin pense que pour abolir ce problème il faut augmenter le salaire des gens afin que tout le monde soit satisfait et ne veule pas voler quoi que ce soit:

— Je me rappelle des manifestations en mai 1968. Et c’était du grand n’importe quoi. Qu’est-ce que fait le gouvernement ? Le salaire minimum augmente de 60%. Il y avait de l’inflation mais c’était une voie optimale pour survivre à la crise. On ne peut pas dire que si on augmente les salaires, les entreprises auront beaucoup de pertes. Au contraire, les entreprises devront apprendre à travailler plus efficacement en améliorant leur qualité de travail. Dans ces conditions, il y aura une possibilité de vendre ses produits pour plus cher, de les exporter.

A vrai dire, je pensais quitter l’Ukraine en décembre 2013 quand les émeutes ont commencé. Je sentais que ce qu’il se passait ce n’était pas très bien pour le pays. J’avais demandé conseil mais tout le monde m’avait dit que tout allait être bien. Nous espérons que ce n’est pas demain mais dans quelques années l’Ukraine pourra devenir meilleure. Je pense qu’il y a déjà certaines réformes, je vois l’envie de changement structurel de ce pays. Ne pas être comme l’Europe ou comme les Etats-Unis mais être une véritable Ukraine, avec moins de corruption.

L’histoire de Christophe Lacarin de Fabiani continue de se développer grâce à son caractère turbulent mais tout aussi romantique, grâce à son envie d’expérimenter et de découvrir quelque chose de nouveau. Ce qu’on peut certainement apprendre du marquis, à part ses nombreux talents, c’est sa capacité de profiter, de jouir de la vie, dans le bon sens du terme.

La vie ce n’est pas que du travail, voyez-vous? On n’a pas besoin de penser tout le temps à l’argent. On a besoin du bonheur. Je profite de la vie même au moment quand j’ai des problèmes avec l’administration, avec les propriétaires du terrain que je loue, avec des fonctionnaires. Les problèmes, ça existe dans n’importe quel pays, même dans celui le plus prospère.

Comment on a tourné

A propos de notre visite d’Odessa, de notre route vers le vignoble de Monsieur Lacarin à Chabo et à propos des mains qui sentent les écrevisses…

Le dossier est préparé par

L'auteur du Ukraїner:

Bogdan Logvynenko

Auteure:

Natalia Ponedilok

Rédactrice:

Yevheniia Sapozhnykova

Photographe:

Serhij Korovajnyj

Opérateur caméra:

Pavlo Pachko

Andriy Rogozin

Panorama 360:

Serhij Korovajnyj

Yulia Rublevska

Mykola Nosok

Réalisateur:

Mykola Nosok

Éditeur photo:

Oleksandr Khomenko

Traductrice:

Lina Golovnya

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