Même si plusieurs pays veulent encore regarder la Fédération de Russie de manière pragmatique et rechercher des opportunités de dialogue, elle continue de prouver son incapacité à parvenir à des solutions civilisées. De plus, le pays agresseur profite de la manière dont sa culture et son mode de vie peuvent être romancés en Occident, construisant l’image d’une “autre Russie”, qui mériterait du respect et de l’aide même en dépit de l’agression. Sans trop se cacher, la Fédération de Russie utilise la culture et l’art comme une arme dans une guerre hybride et comme un outil pour réaliser ses intérêts. Dans ce contexte, ses figures et ses œuvres cessent d’être de simples figures et œuvres et doivent être considérées par les autres pays du point de vue de leur sécurité nationale.
Cependant, même au milieu d’une guerre à grande échelle et de la publication de preuves de nombreux crimes de guerre contre les Ukrainiens, les représentants du pays occupant peuvent être reçus comme invités d’honneur lors d’événements internationaux, recevoir des prix des droits de l’homme au même titre que les Ukrainiens et, bien sûr, être les porte-paroles de la protection des autres “Russes ordinaires” contre les “sanctions terribles”. Dans ce document, nous considérons plusieurs exemples frappants de telles invitations et expliquons pourquoi la culture du pays agresseur ne devrait pas être tolérée.
Dans le cas de la Fédération de Russie, la “culture de l’annulation” ou cancel culture (refus de soutenir une personne, une entreprise, une marque, etc. en raison d’un comportement inacceptable) sert d’outil pour lutter contre l’impérialisme et l’agression armée. La Fédération de Russie elle-même ne s’en cache pas, reconnaissant que la langue et la culture russes sont des composantes indissociables du “monde russe” et des outils fiables pour sa mise en œuvre. Le 5 septembre, Poutine a signé un décret approuvant le “Concept de la politique humanitaire de la Fédération de Russie à l’étranger”. Selon ce concept, la langue russe a toujours été un symbole important de la Fédération de Russie, et “l’expérience historique”, le “riche patrimoine culturel” et le “potentiel spirituel” russes ont fait de la Fédération de Russie un acteur important sur la scène internationale. Le document est une farce : la Fédération de Russie est postulée comme un État unique qui ne s’immisce pas dans les affaires des autres pays ; soutient ses compatriotes vivant à l’étranger. Progressivement, la Fédération de Russie va tourner son influence « guérisseuse » vers les pays de l’Est, la Géorgie et la Moldavie étant indirectement évoquées. L’Ukraine n’est pas mentionnée dans le document mais même sans ce décret, les Ukrainiens savent très bien ce qu’implique le “monde russe”.
Depuis la guerre à grande échelle avec la Fédération de Russie, l’Ukraine et le monde civilisé ont réussi à bloquer de nombreux aspects importants de l’influence culturelle du pays envahisseur. Ainsi, début mars, l’Institut ukrainien du livre a écrit une lettre ouverte appelant à arrêter la distribution des livres d’auteurs russes, à annuler la participation du stand russe à toutes les expositions internationales du livre et à tous les festivals littéraires et à cesser d’octroyer des subventions pour les traductions d’œuvres d’auteurs russes modernes. Les représentants russes n’ont été invités ni à la Foire du livre de Francfort, ni au Festival du livre de Bologne. En septembre, on a appris que le Festival littéraire international de Lviv BookForum avait décidé de changer le format de l’événement et, dans les conditions de la grande guerre, de procéder à une diffusion en ligne dans le monde entier (l’événement a eu lieu début octobre). La tâche principale du BookForum 2022 était de soulever la question de la punition des propagandistes russes sur un pied d’égalité avec les criminels de guerre au niveau international et de promouvoir l’organisation d’un tribunal international pour les initiateurs et les auteurs de la plus grande guerre en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.
En mai, la Rada (le parlement) d’Ukraine a adopté une loi interdisant l’importation et la distribution de livres en provenance de la Fédération de Russie et de la République du Bélarus. Les pays agresseurs ont également été bloqués dans la sphère musicale, avec notamment l’interdiction de participer à l’Eurovision 2022. En outre, plusieurs pays européens ont retiré des répertoires philharmoniques des programmes de concerts avec des œuvres des compositeurs Tchaïkovski et Stravinski. Des changements ont aussi eu lieu dans le domaine du cinéma. Tous les films de fabrication russe ont été retirés des European Film Awards de cette année. Des changements notables se sont également produits dans les arts visuels. Ainsi aucune œuvre russe n’a été présentée cette année à la Biennale de Venise. Le musée de l’Ermitage d’Amsterdam (une branche du musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg) s’est scindé en une institution culturelle distincte et n’expose désormais que des artistes néerlandais. De nombreuses expositions, festivals, organisations, maisons d’édition et initiatives culturelles poursuivent le boycott total de la Fédération de Russie, car c’est le front culturel que les Russes utilisent pour promouvoir les récits de propagande.
Cependant, si les Ukrainiens, en tant que victimes directes de l’agression russe, ont compris l’opposition radicale à l’espace culturel et sociopolitique russe, pour certains pays la question du lien entre culture et politique reste encore ambivalente. De plus, même les plateformes médiatiques ukrainiennes individuelles sont toujours à la recherche de « bons Russes » pour réfuter la thèse sur la conscience impérialiste des Russes.
Actuellement, l’Ukraine se bat sur plusieurs fronts à la fois : militaire, politique, économique et culturel. Les Russes considèrent comme “à eux” les territoires où Tolstoï est lu en version originale et où est parlé le russe. Dans leur propre état, ils limitent les droits des communautés nationales (un exemple frappant est la guerre en Ukraine où la majorité des occupants qui meurent sont originaires de Bouriatie, Touva, Ossétie du Nord et autres territoires éloignés de Moscou). Ils cherchent à mono-ethniciser la nation et entravent le développement des cultures colonisées. Actuellement, les Ukrainiens tentent de se débarrasser une fois pour toutes de cette influence et prouvent par leur exemple amer que la présence du discours russe menace la sécurité nationale.
Le Festival de Cannes et les “dissidents” russes
Le Festival de Cannes, qui s’est tenu à la mi-mai 2022, soit au troisième mois de l’invasion russe, n’a pas été sans scandales autour de la participation de réalisateurs russes. D’une part, le président de l’Ukraine s’est exprimé en ligne lors du festival, le thème ukrainien est devenu central dans les discours des artistes du cinéma, et le réalisateur du film “Z”, Michel Hazanavicius, afin d’éviter les associations avec le symbole de l’agression russe, a renommé son film “Coupez !”.
Le film "Z"
Remake français de la comédie de zombie japonaise "Shooting Without Brakes" (2017).D’autre part, avant même le début de l’événement culturel, les cercles cinématographiques ont discuté de la position contradictoire des organisateurs du festival concernant la participation du réalisateur russe Kirill Serebrennikov avec son film “La femme de Tchaïkovski”. Selon les organisateurs du Festival de Cannes, Serebrennikov est l’un des artistes dissidents russes qui combattent le régime de Poutine (principalement parce que le réalisateur a été accusé de détournement de subventions de l’État et condamné à une peine avec sursis). Le Festival de Cannes reconnaît uniquement les Russes qui bombardent directement l’Ukraine comme coupables de guerre (rappelons qu’en septembre, 70% de la population russe soutenait la guerre de la Fédération de Russie en Ukraine, soit la même proportion qu’au début de l’invasion à grande échelle). Et bien qu’il n’y ait pas eu de délégations officielles russes à Cannes, la participation de Serebrennikov même au stade de la préparation du festival du film a discrédité ses organisateurs aux yeux de la communauté mondiale consciente.
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Le réalisateur communique étroitement avec Vladislav Sourkov, milliardaire russe, écrivain et l’un des principaux hommes de main de Poutine. C’est Sourkov qui a créé le parti “Russie unie” et le concept de “monde russe”, et a également établi des contacts étroits non seulement avec le président de la Fédération de Russie, mais aussi avec le dirigeant pro-Poutine de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov. Pendant la révolution ukrainienne de la dignité, Sourkov est allé secrètement rencontrer le président fugitif Viktor Ianoukovitch. Il était chargé depuis 2013 de promouvoir les intérêts de la Fédération de Russie en Ukraine, et au printemps 2022, il a peut-être été arrêté en raison de l’échec de “l’opération spéciale” de Poutine. La position de Sourkov n’a pas empêché le “dissident” Serebrennikov de monter une pièce basée sur l’une de ses œuvres au Théâtre Oleh Tabakov de Moscou en 2011. D’ailleurs, la façade de ce théâtre est désormais “décorée” de la lettre Z.
C’est à cela qu’a fait allusion la représentante de l’ambassade d’Ukraine en France, Viktoria Gulenko quand elle a pris part à la discussion sur “l’annulation” de la culture russe : “Le cinéma comme outil de propagande et de guerre russes” au Marché du film de Cannes, où la déshumanisation et la distorsion de l’image des Ukrainiens dans les films de fabrication russe ont été discutées. Victoria Gulenko a élargi la discussion en soulignant la nécessité d’un boycott complet de la Fédération de Russie dans tous les événements publics importants.
Au lieu de cela, lors d’une conférence de presse au Festival de Cannes, Serebrennikov a appelé le monde à abandonner le boycott de la culture russe, le qualifiant “d’intolérable”. En outre, le “dissident” a plaidé pour la levée des sanctions contre l’oligarque russe Abramovitch et a souligné la nécessité d’aider les familles russes qui ont également souffert (!) de la guerre.
Pourquoi le Festival de Cannes, comme tous les autres événements culturels, est-il si important pendant la guerre ? Ce sont des événements publics de cette ampleur qui façonnent l’opinion publique et diffusent des messages sociaux importants. Le cinéma, comme d’autres formes d’art, assume le rôle d’outil facile de propagande. La Fédération de Russie, adoptant l’expérience de l’Union soviétique, utilise la cinématographie pour promouvoir la grande rhétorique impériale. Pour comprendre cela, il suffit de regarder plusieurs films de fabrication russe (même si nous ne conseillons pas de perdre du temps là-dessus), dans lesquels des personnages ukrainiens sont présents.
Le film culte russe “Brother-2” d’Oleksiy Balabanov, dans lequel Danylo Bagrov, le héros gangster des années 1990, se retrouve aux États-Unis, regorge de messages anti-ukrainiens. L’ukrainophobie commence par l’adresse méprisante “Khokhly” [note de traduction : ethnophaulisme désobligeant faisant référence à la coupe de cheveux cosaque] et se termine par la ligne “Vous bâtards répondrez aussi de Sébastopol” (suggérant que la Crimée appartiendrait à la Fédération de Russie).
Dans les films “historiques”, l’image de l’Ukrainien est non seulement provincialisée, mais aussi systématiquement liée à celle de traître. Par exemple, dans le film “Liquidation” sur la lutte des autorités soviétiques contre les gangs à Odessa, les Ukrainiens sont dépeints comme des larbins nazis, et dans “The Match”, où les joueurs de football de Kiev et les combattants anti-aériens de la Luftwaffe jouent les uns contre les autres, tous les personnages positifs parlent russe, tandis que les héros parlant ukrainien sont des traîtres. Le choix des acteurs principaux confirme la volonté de propagande du cinéma russe. Ainsi, l’acteur Porechenkov de “Liquidation” est un ukrainophobe convaincu qui s’est rendu dans les territoires occupés de l’est de l’Ukraine, où il s’est filmé avec sa caméra en train de tirer sur des soldats ukrainiens. Et Bezrukov, qui a joué dans “Match”, a publiquement soutenu la guerre de la Fédération de Russie contre l’Ukraine et a même joué une pièce de théâtre pour les enfants des territoires ukrainiens occupés. Et ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses illustrations de la façon dont la Russie utilise sa production cinématographique pour diaboliser d’autres nations.
Luftwaffe
L'armée de l'air dans l'Allemagne nazie.En plus d’exprimer une position politique, Cannes est aussi l’endroit où se déroulent les avant-premières de films très attendus, et donc, les œuvres des “plus grands acteurs” sont achetées par les distributeurs moyennant beaucoup d’argent. Chaque année, des réalisateurs présentent leurs films au Marché du Film de Cannes afin d’assurer leur financement ou de vendre des projets déjà aboutis.Les cinéastes ukrainiens demandent l’arrêt de la distribution de toute production cinématographique russe, car les bénéfices des réalisateurs, distributeurs et cinémas russes signifient en réalité le financement de l’armée russe, qui commet des crimes contre la population civile ukrainienne.
Récompenses internationales aux propagandistes russes
Une autre affaire, qui visait à démontrer au monde entier qu’il existe des Russes courageux et opposés au régime, est liée à Maryna Ovsyannikova, aujourd’hui ancienne employée de la Première chaîne de la Fédération de Russie. Ainsi, début mars, lors de la diffusion de l’émission “Vremya”, Ovsyannikova s’est tenue derrière le présentateur de télévision avec une affiche sur laquelle était écrit en russe: ”Pas de guerre ! Arrêtez la guerre. Ne croyez pas la propagande. On vous ment ici.” Cette intervention s’est immédiatement répandue sur les réseaux. Avant cette action soi-disant anti-propagande, Ovsyannikova a enregistré un message vidéo dans lequel elle appelait les Russes et les Ukrainiens à se réconcilier, soulignant que son père est ukrainien et sa mère est russe. Selon la journaliste, le coupable de la “guerre fratricide” est uniquement Poutine, qui aux yeux du monde représente la Fédération de Russie comme un pays agresseur.
La rhétorique sur les « nations fraternelles » qui n’ont jamais été en guerre est complètement propagandiste et contredit le contexte historique : la fausse fraternité est la tentative de la Fédération de Russie de justifier sa reconquête à long terme des territoires qui sont passés sous son influence coloniale. L’appropriation des réalisations culturelles, de l’héritage historique, des artistes célèbres et même des inventions d’autres nations, en particulier ukrainiennes, est argumentée par les Russes sur la base de leur prétendue origine et culture communes.
L’action pacifiste d’Ovsyannikova visait à « blanchir » la réputation des Russes aux yeux de la communauté mondiale. Les actions ultérieures de la propagandiste russe témoignent du caractère artificiel de la planification de la performance anti-régime. Ainsi, il y a peu de temps, Ovsyannikova, dans l’un de ses messages, a appelé à la levée des sanctions contre la Fédération de Russie, faisant à nouveau appel à l’innocence des “Russes ordinaires”.
Le Centre pour les communications stratégiques et la sécurité de l’information de l’Ukraine a souligné que les thèses de propagande d’Ovsyannikova sont activement utilisées pour les opérations d’information psychologique de la Fédération de Russie afin d’”arrondir les angles” sur la question des sanctions. En plus du mythe des “nations fraternelles”, la propagandiste promeut un autre récit – celui de l’existence d’une opposition en Fédération de Russie. Il faut rappeler que l’opinion oppositionnelle dans la bouche des “dissidents” russes s’arrête dès qu’on parle de l’Ukraine. Le plus célèbre “combattant pour la justice” russe, Alexei Navalny, devenu un symbole de la lutte contre le régime de Poutine, a confirmé cette thèse, indiquant que la Crimée occupée n’est pas un “sandwich qui se passe de main en main”.
L’action d’Ovsyannikova a de façon planifiée beaucoup fait parler, et très vite l’ancienne employée à la propagande de First Channel a été nommée pour recevoir le “Prix des médias pour la liberté” du Weimer Media Group avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky et la cheffe de l’opposition biélorusse Svitlana Tikhanovskaia. L’attribution du prix, certifiant l’attachement aux idées de liberté et de démocratie, à des représentants de trois pays voisins a semblé à l’organisateur une bonne idée, qui démontrerait la volonté des États de dialoguer politiquement pour mettre fin à la guerre. Cependant, le peuple ukrainien a été scandalisé par la décision de remettre le prix des médias allemands à une personne qui a longtemps été un rouage de la puissante machine de propagande de la Fédération de Russie. Finalement, les organisateurs ont annulé leur décision – seuls Volodymyr Zelensky et Svitlana Tikhanovskaia ont reçu le prix.
Cependant, Ovsyannikova a reçu le prix Vaclav Havel de la dissidence créative au Oslo Freedom Forum 2022, ce qui confirme une fois de plus l’efficacité des mécanismes de propagande russes.
Ovsyannikova avait même prévu de venir en Ukraine et de tenir une conférence de presse à l’agence d’information Interfax-Ukraine, mais l’événement a été annulé en raison de l’indignation des Ukrainiens. Le 1er juin, la journaliste de la télévision russe a été ajoutée à la base de données ukrainienne “Pacificateurs”, une liste des personnes qui commettent “des actions conscientes contre la sécurité nationale de l’Ukraine, la paix, la sécurité de l’humanité et le droit et l’ordre international”.
Malgré les preuves évidentes de propagande dans les récits « pacifistes » des médias russes, le mécanisme « de la poudre aux yeux » continue de fonctionner pour justifier les crimes de guerre de la Fédération de Russie. L’action d’Ovsyannikova, comme tous les autres discours publics des soi-disant opposants, détourne l’attention des questions urgentes, telles que la mort de dizaines de milliers d’Ukrainiens, pour blanchir la réputation de la Fédération de Russie aux yeux du monde. C’est ainsi que la Russie renforce les moyens de pression de la guerre hybride, en utilisant activement la désinformation et la manipulation.
Se servir de la guerre pour se faire de la publicité
Le “dissident” russe Maxim Kats a maîtrisé avec succès les outils d’utilisation de l’espace médiatique d’autres pays pour promouvoir des messages sur “une autre Russie”. Katz est une personnalité politique et publique russe, propriétaire d’une chaîne YouTube qui aborde des sujets historiques et sociopolitiques, avec plus de 1,4 million d’abonnés.
Depuis plusieurs années, Katz développe la thèse d’un “langage commun” qui “unit” des “nations fraternelles” dans ses réseaux sociaux. En 2020, lors des manifestations en République de Biélorussie, les Biélorusses, comme les Ukrainiens, n’ont pas aimé la thèse de Katz sur un espace linguistique commun. Le blogueur biélorusse Misha Tsygankov, plus connu sur Twitter sous le nom de Gypsynkov, s’est vivement opposé au tweet de Katz, dans lequel il souligne la domination de la langue russe dans les pays voisins comme un fait historiquement justifié :
Vague de manifestations en République de Biélorussie
Vague de manifestations en République de Biélorussie contre le régime de Loukachenko en 2020-2021.– Historiquement se sont produits des éruptions volcaniques, tsunamis, astéroïdes venus de l’espace alors que la politique délibérée d’une nation et d’un État pour en détruire d’autres n’est pas quelque chose qui s’est produit historiquement. C’est un nom et une culpabilité que beaucoup ne veulent pas pardonner et oublier, encore plus maintenant.
Katz utilise habilement la situation géopolitique pour augmenter son audience : lorsque Loukachenko a réprimé les manifestants en République de Biélorussie, le blogueur s’est tourné vers les affaires russes, et avec le début de la guerre à grande échelle de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, Katz a analysé dans de nombreuses vidéos les raisons de l’invasion, son programme et ses conséquences, et a donné des astuces aux Russes pour éviter de participer à la guerre.
Cependant, parallèlement à une apparente opposition au régime autoritaire russe avec des vidéos aux gros titres tels que “L’Ukraine n’est pas la Russie”, “Quand le Poutinisme finira-t-il”, “Zelensky. Le président du futur”, son site regorge de vidéos disculpatoires qui admettent la culpabilité d’une seule personne – Poutine.
Par exemple, dans l’épisode “Poutine détruit la Russie. Ne faites pas partie de cela”, Katz compare la vie en Russie et en Ukraine, affirmant même que certains films russes ont été tournés en Ukraine, car nous avons “exactement les mêmes maisons, centres commerciaux et des personnes habillées de la même manière”. Mais si comparer la vie quotidienne des résidents des pays post-soviétiques est un argument classique des Russes de notre similitude avec eux, alors en y réfléchissant davantage, Katz n’est pas si opposant. Poutine (pas l’armée russe, mais lui personnellement) détruit les villes les plus proches du monde russe – Kharkiv et Marioupol. De plus, Katz met l’accent sur les similitudes des cultures qui “pratiquement” ne diffèrent pas les unes des autres. Mais l’apogée du cynisme dans cette vidéo a été la remarque de Katz selon laquelle la destruction de Marioupol pour chaque Russe né et élevé dans la ville industrielle est en fait la destruction de sa propre maison. La personnalité publique russe, qui aux yeux de beaucoup est l’expression d’une opposition, brouille les frontières de la Fédération de Russie et de l’Ukraine sans trop se voiler la face, qualifiant les villes ukrainiennes victimes d’années de russification de “maison des Russes aussi”.
Des messages manipulateurs sur “une culture et une histoire communes”, “une même langue” et “la seule culpabilité de Poutine” traversent toutes les vidéos de Katz. Cependant, malheureusement, le propagandiste russe ne se limite pas à l’espace de YouTube, mais il se faufile dans les ondes des médias ukrainiens. Ainsi, dans une interview sur la chaîne de télévision ukrainienne ICTV, Kats a parlé de l’innocence des Russes et de leur incapacité à lutter contre le gouvernement autoritaire. Selon le politicien, seuls les Russes qui prennent directement les armes ou donnent des ordres militaires devraient être punis pour les crimes contre les Ukrainiens, tous les autres sont des victimes du régime, qui subissent également des pressions injustifiées de la part des Ukrainiens.
Parfois, ce récit, visant à cultiver des “bons Russes”, échappe au contrôle de Katz lui-même et se transforme en accusations contre les Ukrainiens, ce qui, en fin de compte, démotive la partie consciente de la population de la Fédération de Russie qui est contre la guerre et capable de protester. Autrement dit, selon Katz, la population ukrainienne elle-même devrait se donner pour mission d’encourager les Russes à se rassembler et à manifester. Katz, en propagandiste russe typique, appelle la victime à dialoguer avec le bourreau et le colonisateur. Il reconnaît la honte et l’effusion de sang de cette guerre, mais accuse l’Ukraine de crimes de guerre et commente les discours de l’activiste public ukrainien « opposant » Serhiy Sternenko.
L’information de Canal 24 sur un live prévu avec Kats, qui devait avoir lieu le 26 mai, a beaucoup fait parler. L’annonce a provoqué une vague de réactions négatives de la part des téléspectateurs ukrainiens, de sorte que l’émission a été annulée. Bientôt, la chaîne a rapporté que la conversation avec la personnalité russe visait à démystifier le mythe de l’existence de “bons Russes” et à montrer les pensées chauvines des soi-disant libéraux russes. Le présentateur de Canal 24, Oleksiy Pechiy, qui était censé échanger avec Kats, a noté :
“Au cours de cette conversation planifiée, mon but était d’amener Maxim Katz aux mêmes thèses chauvines, qu’il maquille assez bien sous l’image d’un soi-disant intellectuel. Pour lui rappeler que son modèle de la “bonne paix russe” est le résultat du meurtre de l’élite ukrainienne, que l’on connaît sous le nom de “Shooted Revival”.
Après que le populaire critique de cinéma ukrainien Vitaly Hordienko a réalisé une vidéo démystifiant les opinions pro-ukrainiennes de Kats et donnant des exemples de manipulation politique par le politicien dans ses vidéos YouTube, Kats lui a proposé un débat. À la place, Vitaly Hordienko a publié une autre vidéo dans laquelle il a indiqué que les Ukrainiens n’auront pas de débats avec les Russes tant que ces derniers n’auront pas retiré leurs troupes du territoire ukrainien.
Est-il opportun de réconcilier l’ancien État métropolitain avec le pays qui a longtemps subi son oppression colonialiste ? La fausse réconciliation de la victime et du bourreau dévalorise l’ampleur de la guerre russo-ukrainienne, qui est un génocide des Ukrainiens. La culture russe aux mains d’un régime autoritaire est un outil de propagande et de manipulation de l’information. Le modèle de pensée impérialiste, fermement ancré dans l’esprit des Russes qui ont grandi avec des manuels, des livres et des films russes, est dévoilé même dans la rhétorique des personnalités russes qui prennent la responsabilité de se qualifier d’opposants. Les mythes historiques sur la “culture commune”, “la langue unique”, “les peuples fraternels” se sont depuis longtemps transformés en clichés, qui permettent aux “bons Russes” de blanchir leur réputation. Actuellement, des personnalités médiatiques russes ont adopté la thèse de la culpabilité individuelle de Poutine devant le peuple ukrainien en se déresponsabilisant. En invitant les Russes à des événements culturels d’envergure internationale, en les nommant pour des prix confirmant la lutte pour la liberté et la démocratie, en continuant à les tolérer dans l’espace culturel, le monde déplace l’attention des véritables crimes contre l’humanité vers la justification des représentants du pays qui les engage.
Désormais, il est important que les Ukrainiens se concentrent sur le soutien de leur propre pays, qui subit chaque jour des attaques ennemies. Dans des conditions de guerre, il est important de s’opposer aux occupants à tous les niveaux, y compris culturels. Aujourd’hui, nous avons une chance d’affirmer notre propre identité et de nettoyer notre espace culturel des tentatives impérialistes de la Fédération de Russie. Tout en combattant aux niveaux militaire, diplomatique, économique et psychologique, il convient de rappeler que l’abolition de la culture russe est une autre étape importante vers la victoire.