Il quitte sa maison et se loge quelques mois à la gare de Lviv, c’est là où l’histoire de Sashko Horondi de Transcarpatie commence. S’en sont suivis des tentatives de trouver un job, le travail de restauration de meubles anciens, la recherche de son propre voie. Cette dernière, il la trouve enfin dans les magasins de vêtements d’occasion. Le jeune homme commence alors à coudre ses premiers sacs à dos à partir des chemises d’occasion, ce qui devient une sorte de thérapie pour lui. Malgré le manque de commandes et une situation qui ne laissait pas beaucoup d’espoir, les réseaux sociaux ont joué leur rôle. Aujourd’hui, sa marque “Horondi” est l’un des fabricants de sacs à dos ukrainiens les plus populaires. On commande le tissu à l’étranger, mais le petit morceau coloré,”sa signature”, reste quasiment sur chaque sac qu’il fabrique.
Au cours des dernières années le succès des marques ukrainiennes est au rendez-vous. Chaque année de nouveaux noms font leur apparition, de nouvelles formes d’expression dans le vêtement et les accessoires voient le jour. La fabrication ukrainienne devient associée aux produits modernes, écologiques et de bonne qualité.
Si les vieilles usines de confection sont en train de disparaître, ne pouvant pas s’adapter à ce nouveau marché, ce sont les petits ateliers de fabrication qui en sortent victorieux. Certes, ils sont incapables de concourir avec les grandes sociétés en termes de quantité produite, mais ils possèdent leurs propres bases de données clients et ils jouent sur la notoriété de la marque.
L’atelier “Horondi” créé par Sashko Horondi fait partie des derniers. Une fois, son amie lui a demandé de coudre une trousse de toilette. D’autres tentatives se sont succédées pour aboutir à la fabrication de son premier sac à dos. Aujourd’hui, le jeune artisan a déjà quelques employées et les commandes sont planifiées à l’avance.
De Mukachevo à Lviv
Aujourd’hui Sashko Horondi a 28 ans. Il y a dix ans, il a pris le train en direction de Lviv qu’il ne connaissait pas, pour s’enfuir de Mukatchevo. Dans sa ville natale le jeune homme faisait partie d’une bande criminelle dont la structure l’obligeait à payer une sorte de ‘tribut’ à ses supérieurs hiérarchiques:
— Et les plus jeunes payaient leurs supérieurs, et ces derniers payaient leurs chefs. Chaque jour nous devions commettre un vol ou faire une chose du genre. Maintenant j’ai honte de l’avouer, mais c’est ce que nous avons fait. Certains allaient jusqu’à ratiboiser leurs propres maisons et apporter tous leurs biens. Les trucs comme ça. Un jour la police est débarquée et depuis mon casier judiciaire n’est plus vierge. C’était un signe. Je me souviens, lorsque l’agent de la police m’a dit : ” Quitte la ville, sinon tout le monde risque de finir en prison” .
Avec 20 hryvnya (N.d.T. 0,70 EUR) dans sa poche, Sashko est arrivé à Lviv. Il dormait à la gare, dans un grenier, il fouillait les poubelles pour trouver quelque chose à manger. La vaisselle, les livres, les vêtements – tout ce qu’il y trouvait, il donnait aux vieilles dames qui vendaient des objets au vide-grenier. Il n’arrivait pas à croire que quelqu’un puisse l’aider de façon désintéressée et n’attendant rien en retour. C’est pourquoi la distribution de repas à l’église protestante, les logements communs dans la rue Kyrylivska, ou bien l’organisation d’entraide “Emaus Oselya” lui paraissait comme des choses illogiques, voire étranges.
“Emaus Oselya” aide les sans-abri ou ceux qui ont du mal à s’intégrer dans la société, en leur donnant du travail et un logement temporaire. D’après Sashko, “Oselya” ressemble un peu au communisme: tout le monde travaille, on dispose de ressources communes qui sont ensuite réparties entre tous et dépensées sur les choses dont tout le monde a besoin. Cette organisation n’a pas de financement externe et fonctionne uniquement grâce aux apports de ses membres:
— Pour certains, c’est une sorte de protection, pour d’autres c’est une manière de retrouver le sens de la vie ou un moyen d’arrêter de boire. Pour moi, à l’époque, c’était une vie gratos. Vous mangez à l’œil, on vous donne des vêtements, de l’argent de poche, du travail. Le premier jour quand j’ai commencé à travailler, c’était en hiver. Ils m’ont donné une pelle et ils ont dit: “Nettoie la neige dehors”. C’était génial! Enfin j’étais utile, je ne fouillais plus les poubelles.
Au fil du temps, Sashko s’est mis à coudre des meubles rembourrés. Puisqu’il ne vivait dans la rue que trois mois, il ne s’était pas habitué au mode de vie des sans-abri. Donc, il lui était plus facile de se réintégrer dans la société. S’il aimait bien son travail en tant qu’administrateur d’un dortoir social, par contre, la rénovation de meubles n’était pas sa tasse de thé. Un jour, il a trouvé le courage de quitter cette activité pour fonder sa propre entreprise.
Le premier sac à dos
Sashko ne pouvait pas s’imaginer réparer les meubles toute sa vie. Le travail qu’il a eu grâce à “Oselya” apporterait un minimum d’argent, mais pas question de satisfaction personnelle:
— J’y allais tous les jours et c’était un véritable calvaire. Je me réveillais chaque matin en me disant: “Ce boulot de merde”. Je travaillais du matin au soir et je me barrais tout de suite. Et quand j’ai commencé à coudre les sacs à dos les soirs, je ne gagnais toujours rien. Mais j’y prenais plaisir. Je me suis dit que malgré tout il valait mieux faire ce qui me plaisait.
Après le décès de la fondatrice et directrice d’ “Oselya”, Olesya Sanotska, Sashko hésitait entre rester dans la sphère d’aide sociale ou prendre le risque de coudre les sacs à dos à temps plein. Après tout c’était Mme Sanotska qui a poussé le jeune homme à vendre pour la première fois ses sacs au vide-grenier. Au final elle a réussi à convaincre Sashko que son travail valait quelque chose. Lui-même n’était pas de cet avis:
— J’ai cousu les sacs à dos pour les vendre au vide-grenier et en une demi-heure j’ai tout vendu. C’était terrible. Je me souviens, quand elle (Olesya — note d’auteur) m’a approché et dit: “Ben alors quoi? Où sont tes sacs?”
La vision de Sashko évoluait en même temps que le matériel qu’il utilisait pour la confection de ses sacs à dos. Les vêtements d’occasion que les gens remettent à “Oselya”, sont triés et vendus par des bénévoles. L’argent des ventes permet d’acheter de la nourriture pour les sans-abris. Une autre partie des vêtements était également répartie entre les SDF.
Les chemises ou les vestes usées – c’est avec ce matériel que Sahsko a commencé à coudre. Avec les premiers revenus, il a pu acheter des morceaux des tissus stocks. Aujourd’hui, il fait ses achats soit en Pologne soit dans sa ville, à Lviv.
Au début, il a travaillé avec les machines à coudre qui étaient mises à sa disposition par les bénévoles. Un peu plus tard, il a emprunté de l’argent pour en acheter une nouvelle. De plus, il a obtenu la subvention de “British Council” destinée au développement des compétences entrepreneuriales des étudiants et des entrepreneurs de start-ups, grâce à laquelle il a acheté le nouvel équipement.
Cependant, avant de pouvoir gérer une production à pleine capacité, Sashko vivait une période d’errance:
— J’ai fait des gaffes. Par exemple, quand j’ai laissé tomber mon travail avec les meubles pour me consacrer aux sacs à dos. En ce temps-là, je n’avais pas assez de commandes et parfois je n’en avais pas du tout. Purée. Et j’arrêterais de coudre les sacs pour me mettre à réparer des meubles. Et comme ça deux fois. J’ai embauché une fille, mais on n’avait pas de travail. C’était dur.
Non-travail
Actuellement, Sashko coud quelques sacs par jour, et il a une petite équipe de deux ouvrières. Le jeune entrepreneur cherchait des moyens pour louer encore quelques machines à coudre afin de créer de nouveaux emplois. Grâce à Facebook il s’est fait connaître du grand public et a réalisé ses objectifs. Après avoir acheté ses sacs à dos, les journalistes et les blogueurs ont parlé de lui et de sa production dans les réseaux sociaux et les médias. Désormais, on commande les pièces de Sashko non seulement en Ukraine, mais aussi depuis l’Europe, des États-Unis et du Canada. Une fois, il a même envoyé une commande en Australie:
— Je ne dis jamais que j’ai réussi tout seul. Simplement les gens m’ont soutenu à un moment donné de ma vie.
Sashko plaisante qu’il gagne assez d’argent pour vivre, mais pas autant pour acheter son premier iPhone. Ce qui d’ailleurs n’est pas son objectif:
— Cet argent peut-être dépensé autrement. Par exemple, pour l’achat de l’équipement, ou je ne sais pas…des tissus. Ou bien pour aller en Turquie afin de voir leur marché qui est plus développé que le nôtre. Je n’arrive toujours pas à croire que les choses vont comme sur des roulettes. C’est incroyable.
Il a perdu le compte du nombre des sacs cousus. Tous ils sont imperméables. Sashko coud également des sacs banane, sacs bandoulière, des porte-monnaies.
La plupart de commandes sont effectuées en automne, en hiver et au printemps. Par contre, en été, quand elles deviennent plus rares, Sashko et Kateryna cousent les sacs à dos pour les vendre aux magasins. Là aussi leur production est très attendue.
Aujourd’hui, les objets faits main sont vendus partout. En général, ils sont plus chers, leur qualité est meilleure et ils ne sont pas conçus pour une consommation de masse. Pour le véritable artisan la confection d’un objet est loin d’être une routine. Sashko voit toujours la confection des sacs à dos “Horondi” comme un hobby qui rapporte de l’argent:
— Je n’ai même pas d’horaires de travail bien précis : pour moi, c’est du matin au soir. Il me semble que bientôt je n’aurai plus d’amis. Je ne les vois plus et je passe mon temps à travailler en sous-sol. C’est une sorte de thérapie pour moi. Je ne sens pas de fatigue ni de sentiment d’obligation. Ce n’est même pas un travail pour moi.
Chaque acheteur du sac à dos “Horondi” prend part à la communication. Choisir le modèle, la couleur et la forme souhaités, le commander, préciser les détails, récupérer le sac et remercier. En fait, c’est Sashko lui-même qui sera reconnaissant pour la commande et la confiance qu’on lui avait accordé. La culture artisanale a rapproché les fabricants et les clients. Sashko résume:
— Le temps quand je vivais dans la rue, j’y pense souvent. Non, je regrette pas. Au contraire, je trouve cela motivant et quand la vie me réserve des coups durs je m’y prends avec de l’optimisme. Je crois que les choses qui nous arrivent, même pas toujours les bonnes, nous aident à trouver notre propre chemin dans la vie. Non, je ne regrette même pas un seul jour. C’était dur, mais je n’en serai pas là où je suis. Même si cela sonne un peu cliché.