Le cinéma ukrainien résiste à l’attaque contre la vérité

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Dans la série “L’Ukraine vue par les autres”, Ukraïner en français rencontre différents acteurs influents pour recueillir leur regard sur l’Ukraine et l’invasion russe. Fabrice Puchault, directeur de la section “société et culture” au sein du média Arte France, a notamment participé au projet “Génération Ukraine” visant à soutenir les réalisateurs et les documentaristes ukrainiens.

Un entretien mené en Ukraine par Olesia Titarenko.

— Bonjour Fabrice. Peut-être pour commencer, parlez-nous de ce projet de Génération Ukraine : d’où provient cette idée ?

Bonjour. Alors d’abord, pour Arte, il y avait une évidence. Arte n’est pas une chaîne française, elle n’est pas non plus une chaîne allemande. À l’origine, c’est une chaîne franco-allemande, mais Arte veut dire “Association pour la radiotélévision européenne”. C’est une chaîne avant tout européenne. Et le mot Europe est central. Si Arte devait être un lieu sur une carte, ce serait l’Europe. Alors, il y a une évidence absolue pour nous, quand l’invasion a commencé, à regarder, à dire, à écouter, et à entendre. Immédiatement d’ailleurs, parce que dans l’unité dont j’ai la charge, nous faisons beaucoup de documentaires, mais nous faisons aussi de l’information. Non pas du JT, mais des magazines d’information.

Nous avons lancé une nouvelle émission, tout de suite, quotidienne, sur la géopolitique. Il n’y a pas que des sujets sur l’Ukraine, mais l’Ukraine est très centrale et donc tous les jours quatre minutes d’informations géopolitiques spécifiques à l’aide de cartes qui ont trait sur le conflit principalement, pas seulement l’Ukraine, mais la géopolitique mondiale et les enjeux.

Une des choses principales qui devient évidente avec l’invasion de l’Ukraine, c’est le rôle de la weaponization des internets et notamment par le pouvoir poutinien, par le pouvoir russe. La désinformation est partout, la polarisation des opinions sert à fragiliser la démocratie. Donc, en réponse, il faut de la nuance et de la complexité. Les faits, la nuance, la complexité. Autre chose, le temps long. Le temps du documentaire, ce n’est pas le temps de la réaction, c’est le temps du regard. C’est prendre du temps pour faire. Non pas prendre du temps pour attendre et se tourner les pouces, comme on dit en français, mais prendre le temps de regarder.

Au Festival de Cannes nous avons rencontré une productrice ukrainienne, Olga Beskhmelnitsyna. Nous avons réfléchi à ce qu’on pouvait faire ensemble. Peu à peu, Olga nous envoie certains projets, en lien avec l’Institut ukrainien, puis vient l’idée de bâtir des ateliers pour discuter avec les réalisatrices et les réalisateurs. Ça, c’est le début de l’opération “Génération Ukraine”.

En tout cas, nous croyons profondément que l’invasion russe, et ça dès le départ, est liée à une vision impérialiste. La Russie se voit comme un empire. C’est une guerre qui nous concerne aussi et concerne l’Europe. Les Russes ont eu le privilège du narratif, le privilège de dire, le privilège de l’histoire. Ils ont raconté l’histoire de l’Ukraine et ils ont été les seuls à la raconter. Nous savons très bien que dans un conflit, la notion de point de vue est centrale dans le documentaire. Il nous fallait des voix ukrainiennes. C’était nécessaire, c’était vital même. On ne fait pas de documentaire sans point de vue. Et bien, ce point de vue ukrainien était nécessaire. Nous avons reçu une soixantaine de projets, nous en avons retenu douze.

— Et pourquoi ce chiffre ?

Quand on dit l’Europe, ce n’est pas un vain mot. Arte est diffusée dans toute l’Europe. Et Arte parle plusieurs langues : le français, l’allemand, l’espagnol, l’italien, le polonais, et l’anglais, et est visible partout. On s’est dit, on va les faire tous. On va faire ces douze films, donc on va mobiliser beaucoup d’argent, mais ces douze films sont importants. Et comme nous sommes visibles partout, nous devons considérer que si Arte a une colonne vertébrale éditoriale, c’est celle non pas de la promotion, mais de tenter de faire vivre un espace de démocratie, de tenter de faire vivre une société inclusive, de tenter de faire vivre une société pensée pour la justice sociale. Et bien évidemment, tout ça additionné fait qu’il y a quelque chose qui est de l’ordre de la nécessité. La nécessité de venir, la nécessité d’écouter, d’entendre, la nécessité de travailler avec des réalisateurs et des réalisatrices, non pas dans un but d’information, attention. Le documentaire, c’est le temps long, c’est le partage des émotions et des situations, avec un point de vue qui est une réappropriation par les Ukrainiens de leur propre histoire et de la vie qui est créée par cette guerre. Eh bien voilà, c’est un ensemble de nécessités qui tout d’un coup convergent et poussent la chaîne à faire cet investissement particulier. C’est une réponse inédite.

— Des films ont été présentés au festival de Berlin et à d’autres. Ces films racontent des histoires à la fois personnelles mais aussi de la guerre. Le mot-clé dans ces histoires, c’est la guerre. Quels étaient vos critères ? Comment avez-vous choisi ces films ?

Nous ne pouvons éviter la guerre. Évidemment, la guerre est présente, parce que la guerre est un fait qui traverse tout, qui non seulement change les vies, qui détruit, mais aussi qui change les rapports humains. Mais les films parlent de la vie, la vie telle qu’elle est modifiée, telle qu’elle est agressée, telle qu’elle est abîmée, telle qu’elle est contestée par la guerre. Le critère principal, c’est, comme vous le savez, quand on fait du documentaire, on ne fait pas de l’info. Le documentaire, c’est comme le disait Gilles Deleuze, que “le cinéma est un acte de résistance”. Ce n’est pas un acte de communication, ni d’information. C’est un acte de résistance. L’art résiste, résiste à la mort et résiste à l’attaque contre la vérité. Le documentaire, c’est affaire de mise en scène, c’est affaire de réalisateur et de réalisatrice, c’est affaire de cinéma.

— Avez-vous en tête, un projet marquant ?

Oui, mais je ne vais pas choisir parmi les douze. Vous savez, peut-être qu’en fait, il y a aussi un autre début. Il y a un autre début et c’est vrai. Alors, je vais citer un film ukrainien qui a été très important en France, qui est le film d’Iryna Tsilyk “La Terre est bleue comme une orange” (2020). Titres bizarres d’ailleurs, venant d’un poète français, mais le titre est magnifique. Et ça, c’est un début. Ça, c’est un vrai début. C’est l’idée de s’attacher à une cinématographie. En fait, ce à quoi nous nous attachons, c’est à une cinématographie ukrainienne et aussi à la réappropriation par les Ukrainiens de leur identité cinématographique, et cela avant même que nous lancions “Génération Ukraine”. Mais c’est l’attention portée à une façon de regarder le monde, à une façon de raconter le monde et son monde, et la présence, oui, d’une cinématographie proprement ukrainienne. Aujourd’hui, on a l’impression quand même que le cinéma ukrainien participe à la réappropriation de l’Ukraine de sa propre histoire.

“La Terre est bleue comme une orange” (2020)
Portant le nom du fameux poème de Paul Eluard, ce film documentaire à été réalisé par l’ukrainienne Iryna Tsilyk (Ukraine/Lituanie, 2020). En montrant le quotidien d’une famille non loin du front, elle a ému la terre entière en remportant de nombreuses distinctions.

— En Ukraine, nous savons que la guerre a commencé en 2014. Mais pourquoi on n’a pas eu la même réaction ? Pourquoi à votre avis, il n’y a pas eu la même réaction de la communauté médiatique et cinématographique ?

Là, vous me demandez une expertise qui n’est pas la mienne. Comment réagit la communauté internationale, ce sont des questions qui sont plutôt d’ordre, qui touchent à des questions d’ordre d’anthropologie, de sociologie, de politique internationale, etc. J’aurai du mal à y répondre, mais moi, ce que je sais, c’est que ce que je peux peut-être dire, c’est que la guerre commence en 2014. D’abord, il y a la prise de la Crimée, il y a ce qu’on a appelé les petits hommes verts. Tout le monde sait que ce sont des soldats russes. Qu’on le veuille ou non, ce n’est pas la même chose. Une armée étrangère brise le tabou de toutes les règles et les lois internationales. Mais ce n’est pas une explication suffisante du tout. Vous savez, tous les peuples, tous les pays ont plutôt ce défaut de se regarder d’abord eux-mêmes. L’idée d’Arte, c’est justement le contraire. C’est d’aller regarder les autres. L’idée d’Arte, c’est que l’Europe… Je n’aime pas citer les présidents, mais c’est votre président qui a dit que l’Europe, ce n’est pas quelque chose là-bas, loin. L’Europe, c’est ici. C’est vrai, l’Europe c’est ici.

Il y a eu un aveuglement sur la guerre. C’est une chose qu’Arte a dite depuis longtemps, mais il y a eu sans doute, un aveuglement politique sur la nature impérialiste du régime de Poutine.

— Quel avenir pour les projets retenus par “Génération Ukraine” ?

Nous avons envie que les films soient vus, même si nous ne sommes pas des réalisateurs. Ce que nous voulons, c’est d’accompagner la suite. Donc effectivement, les deux premiers films qui sortent sont sélectionnés à la Berlinale. Certains des films sont sélectionnés au CPH Talks, qui est un festival très important pour le documentaire. Je sais qu’un des films à venir est déjà sélectionné pour un très grand festival au Brésil et en Argentine. L’idée, c’est que ces films voyagent et nous allons les accompagner. Nous les accompagnons aussi à leur entrée dans le marché de la production et de la diffusion des documentaires.

— Le marché des documentaires est aujourd’hui sursaturé. D’un côté, cela conduit à une concurrence accrue, mais de l’autre côté, à votre avis, est-ce que cela rend les partenaires étrangers et internationaux plus méfiants à soutenir ces projets ? Est-ce qu’il est possible de comparer ce soutien culturel au politique ou militaire?

Ce sont les américains qui reculent. Les européens, non. Mais je ne suis pas un expert du domaine. C’est une question complexe, parce qu’il y a un phénomène qu’on observe partout, la fatigue informationnelle. Nous sommes tous bombardés d’images et généralement qui ne sont pas des images intéressantes. Et évidemment, dans toutes les sociétés, cette fatigue informationnelle existe. Ce n’est pas une question d’engagement. C’est humain, c’est naturel, votre cerveau ne peut pas. Je ne suis pas en train d’excuser l’indifférence, soyons clairs. Mais la fatigue informationnelle, c’est un fait. Par contre, il y a une chance. Parce qu’ une image documentaire, ce n’est pas une image de TikTok. Une image documentaire, ce n’est pas une image faite par un influenceur, ce n’est pas un truc de 2 minutes 30. Ce n’est pas de la communication. Vous savez ce qui se passe dans un documentaire ? Je reviens au film d’Iryna Tsylik, mais je pourrais parler de ça pour tous les films de l’opération “Génération Ukraine”. Ce à quoi vous assistez, ce sont d’autres relations, ce sont d’autres émotions, ce sont des visages, ce sont des gestes, ce sont des choses qui peuvent sembler indifférentes mais qui sont plus importantes que tout, parce que c’est la vie quotidienne, c’est les relations entre les êtres, ce sont des histoires d’amour, ce sont des émerveillements mais aussi des moments tragiques. Tout d’un coup, cela me touche. C’est ce que fait le cinéma. C’est m’inviter à partager. C’est m’inviter à retrouver le visage de l’autre, comme disait le philosophe français Lévinas. C’est m’inviter à embrasser une réalité. Mais quand je dis embrasser, c’est charnel, c’est ce que fait le cinéma. Et ça, ça vaut dix fois mieux que n’importe quel… petits morceaux sur TikTok, sur que sais-je. Et en plus, ce n’est pas mon boulot. Mon boulot, c’est d’essayer de retrouver les visages de l’autre, de trouver son humanité, de trouver ce que la guerre fait aux êtres humains, que ce soit sur le front ou ailleurs.

— Quelle est la place de la tragédie dans ces films?

Écoutez, la tragédie, ça n’est pas un choix. On peut dire de façon pompeuse et puis un peu rapide que oui, il y a un retour du tragique dans l’histoire, puisqu’il y a le retour de la guerre de haute intensité en Europe, ce qui ne s’était pas produit depuis 70 ans. Mais la tragédie, si on en parle comme d’un genre littéraire, ça provoque une catharsis. Pour l’instant, la catharsis, je ne sais pas où elle est. Oui, la tragédie est partout, mais ce qu’il y a au cœur de la tragédie… Vous savez, j’ai eu la chance de travailler avec Agnès Varda. Et Agnès Varda disait “ Ouais, tu sais, le documentaire, c’est simple. C’est une question d’amour et de révolte.”

— Concernant la liste et les participants de ce projet, est-ce qu’il y a des réalisateurs expérimentés, des novices ? ou cela n’a pas d’importance ?

Chez Arte, nous travaillons avec les plus grands réalisateurs du monde. Voilà, c’est simple et c’est vrai. Mais par contre, nous avons aussi beaucoup de premiers films. Et dans cette liste, il y a des réalisateurs qui ont fait peu de choses, très peu de choses, mais c’est le projet qui compte. Celui qui a fait le serment de Pamphir est un réalisateur confirmé, ou les gens qui travaillent sur The Days I Would Like To Forget, c’est un collectif d’artistes très confirmés, mais il y a des gens qui ont fait peu de films. Et ça, ce n’est pas un problème.

— Ces dernières semaines, le film de Mstyslav Chernov, “20 jours à Mariupol” a reçu un Oscar. Pour vous, qu’est-ce qu’on récompense ici ? Comment ce film a été perçu en France ?

C’est un film, et vous ne pourrez jamais le compenser. Vous savez, si le film était mauvais, il n’aurait pas eu l’Oscar. Voilà, c’est tout, le film est essentiel. Vous savez, dans ce film, il y a quelqu’un qui dit, “Je dois absolument sauver ces rushs”. Parce que c’est la preuve que Poutine ment. Il y a comme ça un engagement fondamental dans le cinéma documentaire. C’est d’apporter du réel, d’apporter des faits. Puis, il y a des auteurs ukrainiens et des autrices ukrainiennes de grande valeur et pour moi cet Oscar vient aussi les récompenser. C’est une façon de mettre le projecteur et c’est très chouette. C’est formidable. Vous savez, c’est comme pour tout. Il y a des films qui marchent et qui ne marchent pas. Mais là, je ne sais pas ce qui fait que ça marche ou que ça ne marche pas en salle ou à la télé. C’est très complexe. Mais il y a une réaction positive des publics.

— D’après certaines recherches américaines, le genre documentaire bénéficie d’une croissance rapide aujourd’hui. Et c’est pourquoi je me suis demandé si c’était le cas pour la France ?

Alors, d’abord, les études américaines sur le documentaire: vous savez, les américains là-dessus sont très américano-centrés. Ils n’ont pas de documentaires à la télévision, à l’exception de PBS. Les plateformes, je parle de Netflix, de Crime Stories, etc…, ont remis au goût du jour un genre qui existait déjà. Et on dit qu’il y a une efflorescence du documentaire. Oui, il y a plus d’argent parce que faire des Crime Stories, ça marche. Le cadre d’Europe est différent. Vous avez une industrie documentaire extrêmement forte, très soutenue. Enfin, je parle en termes d’investissement, en termes d’industrie. En Angleterre, en France, en Allemagne, de toute façon, il ne faut pas oublier que ces pays-là produisent, chacun d’entre eux, plus de documentaires que les États-Unis. Et oui, il y a un besoin de documentaire. Mais non pas comme un lieu de l’information, parce que je pense que la fatigue dont vous parliez, c’est une fatigue de l’information, pas forcément une fatigue du récit, pas forcément une fatigue de la mise en scène, et certainement pas une fatigue des films, parce qu’on s’aperçoit effectivement que notre spectatorat augmente, c’est-à-dire que le nombre de spectateurs qui regardent les documentaires augmente. Les gens ont besoin de comprendre, sont en recherche de sens. Il y a un véritable besoin de documentaire.

— Dans les documentaires, on voit que l’image du pays en guerre. On parle de l’image de l’Ukraine. Est-ce que cette image aide à comprendre l’Ukraine ? Comprendre sa particularité culturelle, par exemple ?

C’est la question du point de vue, vous savez. Nous avons foi dans le fait que, parce que nous travaillons avec des réalisateurs ukrainiennes et ukrainiens, que justement à l’intérieur de leurs histoires, ce qu’ils portent, c’est la réappropriation de leur propre histoire. Et pour moi, la culture c’est quelque chose de très vaste, ce n’est pas seulement des œuvres d’art.

— Qu’est ce que les documentaristes peuvent-ils faire pour être davantage convaincants?

Il ne s’agit pas d’être convaincant, il s’agit de faire son métier. Vous savez, je les admire énormément. Il faut raconter, et ce n’est pas la même chose que d’être convaincant. Si vous désirez convaincre, faites de la politique ou alors soyez un journaliste pour une chaîne d’État. Non, vous racontez, vous racontez une expérience. Vous racontez des vies. De votre point de vue à vous. Et un point de vue, ce n’est pas une opinion. Un point de vue, c’est là où vous mettez la caméra. Ce que vous choisissez de montrer.

— Ce phénomène d’attention médiatique, est-il toujours d’actualité aujourd’hui en France ?

Parler en général de la France, c’est compliqué, vous savez, c’est faire des généralités. Quant à une chose qui ici est certaine et qui se comprend de plus en plus, et c’est encore Iryna Tsylik qui l’a dit dans une interview, les Russes ont raconté l’Ukraine, les Russes nous ont raconté l’Ukraine et les Russes ont raconté l’Ukraine au monde. Et maintenant c’est à nous de raconter l’histoire. Et si à un moment donné, effectivement, il faut se débarrasser du narratif russe sur l’Ukraine, il faut se débarrasser du narratif préexistant, impérialiste. Il faut prendre conscience qu’il y a eu un récit russe impérialiste. Et il faut mettre des mots là-dessus.

— Est-ce votre première visite en Ukraine ?

Non, en fait, parce que, alors je vais vous raconter une histoire bizarre, très bizarre, mais qui témoigne de quelque chose d’essentiel. Je suis venu en Ukraine en 1981, c’était la période néo-soviétique, Brezhnev était partout, et en fait je suis venu, c’était un voyage scolaire, je suis venu et je ne savais pas que je venais en Ukraine, j’avais 15 ans et j’apprenais le russe à l’école. Je faisais de l’anglais, je faisais du russe, je faisais du latin, du grec. Moi, je croyais partir en Russie. Et bien on nous a envoyé dans une école, pendant plusieurs semaines, à Odessa. Les cours étaient en russe. J’avais 15 ans, je n’ai pas tilté. Sur place, je comprenais que ça n’était pas la Russie, parce que je voyais parfois que les mots étaient différents. Même à l’époque, c’était évident que c’était différent. Non, justement, tout ce qui était fait, c’était pour me faire entendre qu’Odessa était une ville russe. À Odessa, on devrait apprendre l’ukrainien. J’ai été envoyé apprendre le russe à Odessa, ce qui est une absurdité et le témoignage même de l’impérialisme et du colonialisme russe.

— Les images que vous avez vues dans les documentaires, les images d’Ukraine, correspondent-elles à votre perception aujourd’hui, à vos émotions ?

J’attends que ce soit elles qui me fournissent des émotions et des perceptions. Je crois tellement aux talents de ces équipes, à leurs forces. Ce que provoque le documentaire, c’est de détruire mes perceptions hantées, mes perceptions d’avant. Ce que j’attends d’un documentaire, c’est de me faire changer de lunettes, de modifier mon point de vue, de me déplacer. Un grand film documentaire, c’est quelque chose qui me déplaît, et beaucoup plus par l’émotion que par l’information. Parce que l’information, c’est bon, j’en suis gavé. Mais je n’attends rien. J’attends quelque chose de singulier, qui n’est pas ce que je sais, que je connais, que je vis.

Je me promène dans la ville. Je ne pourrais pas juger de ce qu’est Kyiv à part le fait que c’est une ville que je ne connaissais pas vraiment, et qui me semble vivante. C’est très paradoxal, mais voilà, c’est vivant. La guerre est là, et ce que je vois, c’est qu’il y a une ville vivante. C’est un peu comme ce que j’ai ressenti avec ces cinéastes. Une droiture, une rage, et une confiance extrêmement forte dans la résistance, dans l’espoir et dans l’espérance.

— En regardant un peu votre filmographie et les projets où vous participez en tant que producteur, il y a des sujets différents qui concernent la culture, la politique, des sujets socio-économiques. Est-ce que vous avez un sujet préféré ?

Non. D’abord, ce que je pense et ce que je ressens comptent peu. J’ai une mission, un travail à faire et c’est ça qui compte. Évidemment, je l’incarne, ça vient aussi de mon histoire, de ma culture, de mes sentiments, de mes émotions, mais néanmoins, mon travail, c’est de travailler sur la géopolitique, sur l’investigation, les films d’investigation, sur les documentaires de création, sur les documentaires expérimentaux, et sur des magazines d’information, trois magazines quotidiens d’information qui ont tous une vocation européenne, c’est-à-dire d’inclure car l’Europe, c’est l’inclusion. Maintenant, est-ce que j’ai des préférences ? En tout cas, si j’en ai, je ne vous les dirai pas parce qu’elles m’appartiennent. Moi j’ai fait des études de cinéma et j’aime le cinéma, au sens de ce rapport au réel que j’ai tenté de définir devant vous. C’est ce qui me pointe le plus, c’est de raconter des histoires bien sûr, mais des histoires justes, des histoires sur des faits rigoureux et des histoires incarnées. Ce qui m’intéresse, ce sont les regards des réalisateurs.

— Est-ce qu’il y a un autre projet sur lequel vous pourriez travailler ?

La question qu’on se pose, contrairement à ce que les gens croient, c’est pas qu’on sait ce qu’on va faire, est-ce qu’on veut quelque chose, c’est plutôt la question c’est qu’est-ce qu’on voit pas ? La question ce n’est pas qu’est-ce qu’on va faire. Nous ne sommes pas des sachants. Vous savez, le documentaire commence par un point d’interrogation. Si vous commencez par quelque chose qui n’est pas un point d’interrogation, vous ne faites pas de documentaire. C’est un outil pour questionner le monde, le documentaire. Donc la question que, en tant que directeur d’unité, je dois me poser, je dois poser à mes équipes, et que mes équipes doivent me poser, c’est qu’est-ce qu’on ne voit pas, dans le réel. Donc c’est ça, la question, ce qui m’intéresse. C’est aujourd’hui, qu’est-ce que je ne vois pas.

— Merci beaucoup Fabrice pour cette conversation et pour vos réponses.

Merci.

Le dossier est préparé par

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L'auteure de l'idée,

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