En Ukraine, seulement 6% du territoire se trouve protégé. C’est le chiffre le plus bas parmi les pays d’Europe. Cependant, même sur les territoires des parcs nationaux et des réserves naturelles, la pêche illégale, le braconnage et le labour se perpétuent. Depuis 2015 l’équipe du parc « Limans de Tuzly » a entrepris de lutter contre les conséquences de la négligence envers la nature. Aujourd’hui, des îles artificielles pour les oiseaux, des circuits touristiques et des points d’observation des animaux y sont créés.
En 2020, les zones protégées n’occupent que 6,6% des terres ukrainiennes. C’est très peu en comparaison des superficies des zones protégées des autres pays du monde et des pays européens en particulier. Par exemple, en Pologne, ce chiffre est de 17%, tandis qu’en Allemagne et en Autriche il est supérieur à 30%. Malgré le fait que l’Ukraine est le pays le plus vaste d’Europe, la superficie de ces zones protégées est la plus infime.
Les réserves naturelles et les parcs nationaux constituent les zones protégées les plus répandues en Ukraine. La particularité des réserves naturelles est leur double fonction : préserver la nature et partager sa beauté et ses ressources en attirant des touristes et en permettant une activité économique partielle sur le territoire du parc. L’essentiel est de garder l’équilibre pour que l’activité humaine ne nuise pas à l’environnement.
Les parcs nationaux mondiaux maintiennent précieusement cet équilibre. Dans certains parcs l’habitation supervisée de la population est autorisée, dans d’autres elle est interdite. Par exemple dans le parc national du Nord-Est du Groenland, qui est le plus grand parc national au monde avec une superficie de 972.000 km², il n’y a pas d’habitations mais il est ouvert aux touristes. Le parc national de Yellowstone aux Etats-Unis, considéré comme un des premiers parcs nationaux au monde, a fait un long chemin pour retrouver l’équilibre et devenir un des plus exemplaires d’aujourd’hui.
Durant plusieurs années, dès le début de l’ère communiste, l’Ukraine a cultivé la mode de la chasse. Sa version illégale, le braconnage, s’est répandu. L’utilisation irrationnelle des ressources naturelles est devenue une norme comme la chasse des espèces menacées, l’abattage non réglementaire des bois, l’activité économique illégale dans des zones protégées etc. On est encore contraint de lutter contre les conséquences de telles approches environnementales.
Nous avons déjà tourné un sujet sur les « Limans de Tuzly ». Le parc a réussi en quelques années à attirer des centaines de bénévoles, à revivifier le lac Sasyk et à traduire en justice les malfaiteurs de la nature. Notre première histoire sur le parc : Limans de Tuzly : des dauphins, des oiseaux et des bénévoles.
Quotidien du parc. Ruslan Lupashko
Ruslan Lupashko est un inspecteur du parc national « Limans de Tuzly ». Il est natif de ces lieux, car né au village Jovtyi Yar. Il était entouré de la nature dès son enfance. Pour lui, ce travail est l’opportunité de contribuer à la préservation de l’environnement.
La journée ordinaire de Ruslan commence à 5 heures du matin. Il surveille le territoire pendant quelques heures, ensuite il rentre chez lui avant de reprendre la surveillance à 17 heures. Ses horaires ne changent pas durant l’année, excepté quelques mois, d’habitude d’août à octobre, où il doit travailler presque 24H sur 24.
— Quand la saison de la chasse et de la pêche débute, nos horaires deviennent plus chargés. On peut dire que nous travaillons 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Oui, parfois nous passons à la maison pour dormir et pour manger. Cela dure un ou deux mois à peu près.
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Ruslan doit vérifier les autorisations des touristes, dénoncer la présence des braconniers et veiller au respect des règles de conduite. Le territoire patrouillé par Ruslan s’étend sur 40 km. Chaque jour il décide quelle partie du parc il va inspecter.
Quand Ruslan rencontre des chasseurs il doit décider s’il intervient lui-même ou non. D’après ses instructions de travail, il doit se présenter, montrer ses papiers et demander aux chausseurs de faire de même. Ruslan ne pourra faire traduire en justice que des braconniers dont il verra les papiers :
« En ce qui concerne les chasseurs, il est compliqué d’interagir avec eux car nous n’avons pas d’armes pour nous protéger. Et ils portent toujours leurs armes et parfois sont ivres. C’est dangereux. »
L’inspecteur raconte qu’un jour les braconniers ont mis le feu aux roseaux pour en faire sortir les animaux. C’était le jour de repos de Ruslan, mais en apercevant la grande fumée il s’est dirigé sur le lieu du crime :
— Je voyais les animaux qui essayaient de se sauver, et les braconniers attendaient leur sortie avec sang-froid pour les mitrailler. Il y avait un jeune garçon qui apprenait la technique avec ses proches.
Ruslan a appelé les pompiers et la police, a rapporté la situation à la direction du parc, et s’est approché des braconniers avec sa caméra.
La procédure pénale initiée par la police a été sabotée à tous les niveaux. Par conséquent l’organisateur de la chasse n’a payé qu’une amende minimale sans confiscation de son arme, ce qui est pourtant prévu par la loi.
En général, la police locale n’aime pas les appels du parc pour des questions de légalité de certaines actions, notamment à cause des limites mal définies, c’est-à-dire des « frontières naturelles » du parc. Généralement, on installe des clôtures et des panneaux sur le périmètre du parc mais ce n’est pas toujours le cas.
Les touristes, les locaux et les invités du parc en profitent souvent. Ils prétendent qu’ils ignoraient qu’ils se trouvaient sur le territoire du parc car aucuns panneaux ne l’avaient indiqué.
Les employés du parc savent précisément où commence et où se termine leur territoire. Ils se réfèrent au plan cadastral.
Pour contrôler les braconniers, des barrières étaient jadis installées. Cependant, le nombre de zone de chasse saisonnière n’a pas diminué. Avec le changement de la direction et de la politique du parc, c’est-à-dire à l’arrivé de l’équipe d’Ivan Rusiev, la lutte contre l’activité illégale des chasseurs a commencé. Très vite il est devenu évident que les braconniers ne reconnaissent tout simplement pas le fait que le parc ne leurs appartient pas mais qu’il est un territoire de l’état.
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Il y a une occupation pour le corps et une occupation pour l’esprit. Ruslan prend souvent des photos de la nature pendant sa patrouille. Il publie ces photos sur les réseaux sociaux en parlant du parc :
— J’ai commencé à faire des photos avec mon portable. Je faisais cela pour moi et ensuite je les ai montrées à mes amis et mes connaissances. Ils ont bien aimé ma vision des choses. Ils disaient : « Nous aurions pu passer là-bas cent fois sans remarquer de telles choses. Toi, tu as une autre vision ».
Ruslan dit que de nombreuses personnes vivent dans leur routine et manquent de cordialité. Il pense que nous pouvons la retrouver au parc :
— Pour moi le parc est un endroit où j’aime travailler, mais pas seulement. C’est un lieu où on peut rester seul, on peut rêver et oublier les choses négatives.
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Début des changements. Ivan Rusiev
— Toute ma vie j’ai rêvé que mon travail soit aussi mon loisir. Aujourd’hui je travaille avec plaisir.
Ivan Rusiev, directeur de 2015 à 2018, est à présent le chef du département scientifique. Il est en charge d’étudier et de contrôler les conditions naturelles du parc, comme le niveau de salinité de l’eau des limans, la diversité des espèces d’oiseaux du parc, ainsi que l’analyse comparative et qualitative des données :
— Si tu n’exerces pas de contrôle sur l’écosystème, tu perds la possibilité de le maîtriser dans le futur.
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Ivan se souvient de son travail de jeunesse près de la mer d’Aral qu’il a vue disparaître de ses propres yeux, à cause de l’activité humaine. Les soviétiques utilisaient les fleuves Amou-Daria et Syr-Daria, qui dévitalisaient la mer, à des fins industrielles (construction des canaux). Cela a provoqué la disparition de la mer d’Aral.
Aujourd’hui nous avons le même problème avec le liman Sasyk qui se trouve sur le territoire du parc. Il a été la victime d’un projet industriel soviétique. En 1978 le liman était coupé de la mer Noire par un barrage de 14 mètres de haut. Petit à petit il a commencé à s’assécher et à perdre ses ressources naturelles.
Le contrôle sur l’écosystème permet de prévoir les changements négatifs. Ainsi, l’évaporation de l’eau de mer n’affecte pas la cartographie, pourtant cela a d’importantes conséquences pour les animaux marins qui perdent leur terrain d’approvisionnement.
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La pression mise sur Rusiev à cause de sa proactivité, dans ses tentatives de combattre la corruption et le braconnage au parc, de sa politique transparente et de sa volonté de travailler suivant les lois ukrainiennes, a mené à la radicalisation de ses actions.
Par exemple, en tant que directeur du parc il était censé garantir la sécurité au travail à ces patrouilleurs. Cependant cela n’était pas possible en raison du risque de rencontre avec des braconniers armés pendant leurs patrouilles. De ce fait, Ivan a interdit à son équipe de travailler « sur le terrain ».
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Pendant son travail de directeur Ivan a presque réussi à éradiquer le braconnage. Des cas isolés se produisent encore de temps en temps, pourtant les chasseurs ne viennent plus en masse comme autrefois. Le tourisme est devenu plus écologique car orienté vers la nature. Les pêcheurs des environs se sont procurés des papiers autorisant la pêche dans les limans.
En réalité, la différence entre les pécheurs et les braconniers consiste en la possession de tels papiers. De ce fait, il faut recevoir l’autorisation de la police des pêches car le territoire du parc est une zone protégée. Les braconniers n’ont pas envie de dépenser leur temps et leur argent pour se procurer une autorisation. Ils se disent que tout ce qu’ils ont péché leur appartient.
Le parc de Yellowstone est le premier parc national du monde. Il a été créé en 1872 et il a fallu 30 ans pour que les habitants et les entrepreneurs locaux comprennent qu’il n’était pas toujours nécessaire de gagner de l’argent grâce aux terres. Le braconnage y était aussi habituel. Les autorités américaines le combattaient à l’aide de l’armée. Ensuite, ils ont développé le tourisme en construisant le chemin de fer et différents sites touristiques.
Ivan Rusiev espère qu’un jour l’Ukraine aussi comprendra que la préservation de la nature est un investissement pour le futur. Evidemment, Ivan n’a pas de tel soutien de l’état, cependant il essaie de sauver le parc avec les moyens dont il dispose. Il dit :
— Nous rêvons au respect des parcs par les autorités. Aux Etats-Unis, par exemple, la population a trois fiertés. Ce sont l’hymne national, le drapeau et les parcs nationaux.
Plaidoyer. Iryna Vykhrystiuk
Iryna Vykhrystiuk est la directrice du parc depuis 2018. Comme son collègue, l’inspecteur Ruslan, elle a affaire aux braconniers, aux fermiers et aux entrepreneurs tous les jours.
Les petits commerces illégaux (petites boutiques et stands sur la plage) fleurissent au parc depuis des années. La direction et les employés du parc se sont adressés à l’Administration régionale d’état et à l’Inspection d’état de l’architecture et de la construction à plusieurs reprises. Cependant les mesures pour interdire ces ventes ambulantes n’ont pas été prises.
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Tous ceux qui souhaitent exercer une activité économique sur le territoire du parc national « Limans de Tuzly » ou dans n’importe quel autre parc naturel (dans la zone de réglementation des loisirs) doivent posséder une liste de licences approuvées par l’administration du parc.
Zone de loisirs réglementée
C’est une zone où les activités touristiques de courtes durées, la création de sentiers, et de parcours de randonnées écologiques sont autorisés. L’abattage des arbres, la pêche, la chasse ainsi que n’importe quelle autre activité qui nuit à la nature, commerce inclue, y sont interdits.— Les gens sont capables de marcher 400 mètres de plus pour ne pas dégrader cette zone. Mais l’administration du village a distribué tous les territoires côtiers pour la construction (privée – éd.). D’autant plus qu’ils remplissent le liman pour accroître leurs terrains.
Les fermiers des environs labourent les terres du parc pour leurs propres profits. Les terres fertiles s’épuisent à cause de l’agriculture. De ce fait, certaines règles d’exploitation de ces zones ont été élaborées.
Le liman Shahany fait partie du parc « Limans de Tuzly ». Il est entouré par les « bandes » côtières vierges de protection. Ces bandes sont créées pour défendre les étendues d’eau naturelles des influences humaines (pollution et destruction), elles sont réglementées par le Code de l’eau, et le Code de gestion des terres.
Le liman Shahany est fermé. Il est séparé de la mer par un banc de sable. La largeur de ses bandes de protection est minime : cent mètres seulement. Cependant selon le Code de l’eau ukrainien, elles doivent être de deux kilomètres.
— D’après les législateurs une telle largeur aurait dû protéger les étendues d’eau de l’impact négatif de l’agriculture. Mais qu’avons-nous en réalité ? Partout, les bandes côtières de protection sont détruites par le passage régulier du bétail.
Crédit photo : PNN « Limans de Tuzly »
L’absence de panneaux de bordures sur le territoire du parc est l’un des problèmes principaux.
Depuis 2015, l’équipe du parc a rendu à l’état et à la nature 130 ha de bandes côtières de protection. L’agriculture illégale y a été stoppée. Cependant, plus de 2000 hectares de terres sont toujours utilisés par des fermiers :
— Là où c’était possible toutes les terres ont été labourées. Les prairies de plaine inondable ou les lacs salés restent préservés grâce à de leur faible rendement agricole. Comme un fermier dit : « Si je pouvais, je serais en train de labourer le liman ».
Depuis 1996 l’ensemble du liman Shahany-Alibei-Burnas fait partie des sites Ramsar de l’Ukraine, c’est-à-dire qu’il bénéficie d’un niveau de protection particulier.
La Convention de Ramsar
L’Ukraine fait partie des pays signataires de la Convention de Ramsar relative aux zones humides d’importance internationale. La Convention définit les zones humides particulièrement comme habitats des oiseaux d'eau et elle les protège.Iryna explique aux fermiers à quel point les zones humides sont importantes pour l’écosystème. Ils peuvent avoir les mêmes récoltes grâce à une meilleure agriculture et sans voler des terres.
Ainsi, les zones humides approvisionnent l’humanité en eau potable, elles nettoient et filtrent les eaux superficielles. Le labour des terres, manuellement ou à l’aide de machines lourdes, nuit au liman, et même le détruit.
Il faut 100 ans pour le renouvellement total de la steppe, ou 25 ans minimum avec intervention humaine. Pour l’écosystème, la steppe n’est pas moins importante que les zones humides, elle absorbe mieux le gaz carbonique par exemple.
Ce dernier concerne les phénomènes atmosphériques (gaz à effet de serre), qui provoquent des changements climatiques. Plus il y a de gaz carbonique plus son impact sur la nature de la région est élevé.
La steppe, c’est la forêt à l’envers, comme on dit au parc. Les racines des arbres renforcent le sol et aident à éviter l’abrasion (la destruction) des côtes, de la même manière que la forêt renforce les pentes des montagnes.
Œdicnème criard. Crédit photo PNN « Limans de Tuzly »
Oiseaux et mammifères
La steppe, c’est aussi un habitat important pour les oiseaux, précise Ivan Rusiev :
— Cette année nous avons vu pour la première fois l’œdicnème criard sur le territoire reconquis aux fermiers. Cet oiseau est une espèce menacée. Nous l’avons vu près de la route, il y jouait avec ses petits. Dès que nous avons reconquis ces terres ils avaient emménagé ici et avaient fait leurs nids.
Les petits mammifères qui font partie de la liste rouge de l’Ukraine aussi vivent au parc. Récemment, Ivan a remarqué un hamster d’Europe, par contre cela fait quelques années que l’écureuil terrestre (Spermophilus odessanus) et la marmotte des steppes ne vivent plus ici. Ivan rêve de renouveler leurs populations ainsi que de faire venir des antilopes saïgas et des hémiones (des ânes sauvages de l’Asie)
— Nous gênons la nature en l’empêchant de se renouveler. La nature a son propre droit d’existence. Nous avons déjà d’innombrables cas quand cela se retourne contre l’humanité. Avec des effets négatifs. Pourtant, on refait les mêmes erreurs encore et encore.
Le parc inclut un centre scientifique de recherches qui étudie la flore et la faune de la région. Les botanistes travaillent avec plus de 700 espèces végétales et les ornithologues étudient plus de 260 espèces d’oiseaux. Il y a aussi des scientifiques qui se penchent sur les amphibiens, les reptiles, les mammifères, les insectes et autres.
Le parc compte plus de 40 espèces d’oiseaux rares, qui font partie de la liste rouge ukrainienne et mondiale :
— Le rollier d’Europe par exemple. Cet oiseau est doté de couleurs vives et ne niche que dans les falaises. Nous avons 150 kilomètres du territoire continental au parc et près de 100 kilomètres de falaises où les rolliers font leurs nids.
En dehors de la reprise des terres aux fermiers et aux braconniers, les employés du parc créent les bonnes conditions pour nicher et assurent la sécurité des animaux et des oiseaux.
— Les oiseaux n’ont pas beaucoup de place pour nicher à cause de la formation de l’écosystème. Il y a beaucoup de bancs de sable qui attirent des prédateurs terrestres et aériens. Quand les oiseaux commencent à y nicher, les prédateurs détruisent leurs nids dans la nuit.
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Il y a trois ans Ivan et son équipe ont commencé à construire des îles artificielles. Sept d’entre elles sont devenues des refuges pour : l’avocette élégante, l’hirondelle de mer, le pélican blanc et le pélican frisé.
Nous pouvons considérer cela comme une victoire. Par exemple parce que le pélican est très pointilleux quand il s’agit de choisir un nouvel endroit pour nicher. Ivan explique que près de cinq ans peuvent s’écouler avant que le pélican décide d’occuper une île :
— Les pélicans y ont la possibilité de chercher la nourriture. Ils ne sont pas des prédateurs et ils ne l’ont jamais étaient. Pourtant les pêcheurs disent que les pélicans mangent trop de poissons et donc ils sont leurs concurrents directs. Les écologistes à leurs tours, disent que les pélicans sont là où il y a du poisson, et il y en a assez pour tout le monde : pour les humains et les pélicans.
La chaîne alimentaire inclut toujours des oiseaux : ils se nourrissent de petites bêtes comme des vers de terre. Seulement ces écosystèmes sont « en bonne santé ».
Je suis un ornithologue amateur heureux
La superficie totale du parc est de 28 865 ha. Dont vingt mille sont occupées par les eaux des limans. Les zones humides locales sont d’une grande importance pour les oiseaux aquatiques. Un des plus gros flux migratoires des oiseaux passent par ici.
Les employés appellent le parc « l’Eldorado des oiseaux », c’est-à-dire « le pays doré de rêves ». Ces territoires intéressent avant tout les ornithologues amateurs. Contrairement aux vrais ornithologues, les ornithologues amateurs ne sont pas des scientifiques, l’observation des oiseaux est leur passe-temps.
Iryna Burlachenko, employée du parc, raconte l’histoire de visiteurs qui ont découvert ici leur passion pour les oiseaux. Plus tard ils sont revenus avec des jumelles et leur appareil photo.
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L’endroit préféré des ornithologues amateurs est le bungalow au bord du liman. Si vous y venez le soir sans faire peur aux oiseaux, le matin vous pouvez les voir marcher autour, ils encerclent littéralement les visiteurs du parc.
Au parc, notamment autour du bungalow, nous pouvons voir beaucoup de pélicans de mai à septembre. Ils sont devenus une sorte de symbole des « Limans de Tuzly ». Iryna raconte :
— Pour certains de nos touristes c’est une vraie surprise que nous ayons des pélicans ici : « Chez nous en Ukraine on a des pélicans ? Et ils sont là ? » A l’étranger on les a promis de « probablement rencontrer des pélicans dans un des parcs nationaux s’ils ont de la chance ». Ils disent, « On ne les a jamais vus là-bas et là, nous nous promenons et les pélicans sont partout ».
Vasco van der Boon est un journaliste néerlandais de Financial Day mais son hobby n’a aucun rapport avec son métier. Il est ornithologue amateur depuis sa jeune enfance. Il travaillait comme ornithologue amateur dans son pays mais il avoue qu’un tel travail emmène la solitude donc il s’est tourné vers le journalisme. Son amour pour les oiseaux est devenu son passe-temps. Ayant été de passage en Ukraine, il avait étudié l’univers des oiseaux des Limans du Tuzly :
— Ces limans, avec des bénévoles qui les protègent, sont un paradis pour les oiseaux ainsi que pour les ornithologues amateurs. En quelques heures j’y ai vu des oiseaux que je n’ai jamais rencontrés de ma vie. Alors, je suis un observateur heureux.
Parmi les oiseaux qu’il avait eu la chance de voir ici, il a distingué la grue cendrée et des pélicans blancs. Les grues s’arrêtent ici à la mi-été en migrant de Sibérie jusqu’en Afrique pour l’hiver.
Bénévoles et enfants. Iryna Burlachenko
L’ex-professeur d’école, Iryna Burlachenko est venue travailler au parc en 2016. La directrice actuelle du parc l’avait invité en demandant : « Veux -tu changer considérablement ta vie ? ». Iryna le voulait. Alors elle a quitté l’enseignement pour rejoindre l’équipe du parc.
Iryna aime bien le fait de ne jamais savoir de quoi sera fait son lendemain au parc, la lutte contre les braconniers, une visite pour les touristes ou une discussion avec des journalistes. Elle dit qu’elle se sent ici à sa place.
— Je ne regarde pas ma montre en me disant : « Oh là là, nous travaillons jusqu’à 17h30 ». C’est ridicule : quand nous partons sur le terrain nous pouvons rentrer vers 22 heures, à minuit ou encore nous pouvons rester pour la nuit sur place. Ce n’est plus un travail, c’est un mode de vie.
Avant, il n’y avait pas beaucoup de touristes au parc, alors Iryna et ses collègues ont commencé à travailler sur l’aspect touristique de la réserve. Ils ont créé des parcours, une liste de services payants et un office de tourisme.
Il n’y a pas d’hôtels ou de maisons d’hôtes au parc, pourtant toutes les conditions pour les amateurs de la nature sauvage ont été créées. Sur l’aire de camping il y a l’électricité, un réseau internet etc. Les visiteurs qui préfèrent le confort peuvent se loger dans la zone de loisir (sur le territoire du parc il n’y a aucuns bâtiments).
En été 2018, entre les limans Shahany et Malyi Sasyk, une partie de la frontière du parc a été ouverte. Ici, les gardiens font leurs rondes, les scientifiques font leurs recherches et les touristes observent les oiseaux. A la place des caravanes rouillées des braconniers, un poste de garde, un office de tourisme, une tour d’observation, une grande pergola en roseau et deux bungalows ont étaient construits. Un des parcours touristiques du parc passe par là, il porte le nom de « L’Amazonie de Tuzly ».
Toute l’infrastructure du parc a été bâtie par les bénévoles. Iryna raconte que presque tous les bénévoles les ont trouvés grâce à la page Facebook d’Ivan Rusiev, où il parle du parc chaque jour. Les bénévoles demandent si les employés ont besoin d’assistance (ils en ont besoin quasiment en permanence), et quelque temps après ils arrivent avec des matériaux et des outils.
Certains distribuent des denrées alimentaires pour les expéditions des enfants, d’autres prêtent des chambres dans leurs maisons d’hôtes pour les nouveaux bénévoles, ou encore bâtissent des brise-lames, des bungalows ou aménagent le camping et il y a ceux qui font des dons pour ces constructions. Les bénévoles ne sont pas que des particuliers, parfois ce sont des organisations. Ainsi les bénévoles de WWF (Fonds mondial pour la nature) aide souvent dans la rénovation des parcs de l’Ukraine. C’est une organisation internationale de bénévoles qui a pour but d’arrêter la dégradation des systèmes naturels de notre planète.
— Notre seul véhicule, « Nyva » a été brûlé par les braconniers. Là aussi, les bénévoles se sont organisés pour nous acheter une nouvelle voiture.
Crédit photo : PNN « Limans de Tuzly »
Les expéditions d’enfants
Les personnes âgées, qui sont nées, ont grandies et ont été éduquées dans le système de valeurs soviétique, ne perçoivent pas les parcs nationaux comme il le faut. La raison de cette attitude est le fait que les visiteurs habituels de ces parcs étaient des hauts fonctionnaires. Les gens simples ne pouvaient s’y rendre que rarement. Ainsi, la direction des parcs suscite la méfiance dans l’Ukraine indépendante.
L’éducation écologique des personnes âgées est aussi importante que celle des enfants. Si les enfants doivent apprendre à se comporter correctement dans la nature, les adultes doivent changer leur mode de conduite qui nuit à la nature. Cela fait deux ans que les employés du parc organisent des expéditions pour les enfants, raconte Iryna Burlachenko.
— En 2018 nous avons commencé un projet éducatif intéressant. C’est une expédition pour les enfant nommée « Tuzlim », c’est-à-dire « Tuzlivski lymany » (« Limans de Tuzly » en ukrainien). Chaque année nous choisissons un symbole de l’expédition.
Le symbole de la première expédition était une grenouille étant donné que la majeure partie du parc est une zone humide. Cette année le symbole est un pélican car il y en a beaucoup et les enfants les adorent.
Crédit photo : PNN « Limans de Tuzly »
Pendant l’expédition les enfants découvrent la nature en étant « dans la nature » et pas dans leurs salles de classe. Ainsi l’enfant apprend en pratique. Les employés du parc élaborent le programme avec les scientifiques. D’après Iryna, pendant l’expédition ils se transforment en conteurs d’histoires. Ils expliquent de façon simple et intéressante le monde qui les entoure. Chaque soir ils organisent un programme culturel, ils font un feu et chantent :
— Nous avons choisi les enfants locaux pour l’auditoire. Ils grandissent. Leur attitude face à l’environnement et l’utilisation des ressources naturelles vont influencer l’écosystème, car ils sont des voisins du parc.
Il faut passer un concours pour se joindre à l’expédition. Les enfants doivent organiser un système efficace de gestion des déchets dans leurs écoles. Les gagnants partent en expédition.
Chaque jour en expédition est très chargés. Le réveil est à 7h du matin. Ensuite on passe à la gymnastique, on prend le petit déjeuner et on commence les cours. Trente enfants sont divisés en groupes éducatifs. Pendant les promenades avec les scientifiques, les enfants apprennent à prendre des notes de terrain, à quoi il faut prêter attention, comment fabriquer un herbier et décrire des oiseaux. Iryna est persuadée que les enfants se sentent comme de vrais scientifiques.
Après le déjeuner, l’expédition se repose, fait les conclusions et va à la plage. Le dîner est suivi de discussions communes. Notamment on parle sur la gestion des déchets et se questionne sur l’interdiction de jeter les ordures dans le parc.
Une expédition durait jadis une semaine contre 10 jours aujourd’hui. Sans accès à internet et sans commodités, cette expédition aurait dû être une épreuve pour les organisateurs ainsi que pour les enfants. Cependant la diversité de la nature, les activités et les observations quotidiennes compensent les occupations habituelles des enfants :
— Un jour, un plongeur nous a raconté qu’il avait trouvé un vieux filet avec plein de crabes et poissons bloqués dans les mailles.
Les enfants libéraient les crabes avec leurs propres mains et les relâchaient dans la mer. Les crabes étaient énormes. Je pense que c’était un souvenir à vie. Les enfants se sentaient très contents de les avoir sauvés.
Crédit photo : PNN « Limans de Tuzly »
La plupart des enfants locaux viennent des familles des braconniers et des pécheurs. Cependant en expédition ils ne prennent pas à la nature comme font leurs parents de manière illégale, au contraire ils redonnent. A l’adolescence, il est important de montrer en pratique les dommages causés par les hommes, cela permet de comprendre les dimensions d’un tel comportement.
Les employés du parc ont commencé à chercher des financements pour les expéditions une fois leurs créations annoncées. L’état n’a pu financer que l’alimentation de quelques enfants, de ce fait des bénévoles et des mécènes sont venus en aide. Iryna se rappelle :
— Quand une idée et une volonté te mènent, quand tu as une énorme envie de faire une bonne chose, l’argent se trouvent.
Avec l’annexion de la Crimée, l’Ukraine a perdu environ un tiers de ses réserves naturelles nationales, ce qui correspond également au tiers de toutes les zones protégées d’Ukraine. Ainsi la réserve naturelle de Crimée a été transférée « à la Direction administrative du président de la Fédération de la Russie à titre gracieux ». Cela rappelle les pratiques soviétiques de la transformation des zones protégées en zones privées des fonctionnaires. Dans les années 1950 les services « chasses et loisirs » étaient déjà fournies par cette réserve. D’après l’exemple des « Limans de Tuzly » nous pouvons voir à quel point c’est difficile de restaurer les parcs et les réserves après l’activité dévastatrice des braconniers.
Les parcs nationaux sont créés tout d’abord pour préserver et transférer la vraie nature aux générations futures. C’est notamment le but de l’équipe du parc « Limans de Tuzly ».
supporté par
Ce matériel a été traduit par le soutien de l'Institut Ukrainien