Le siège de Marioupol et la défense de l’usine Azovstal ont été suivis par le monde entier. Depuis le début de l’invasion à grande échelle, la ville qui comptait jadis un demi-million d’habitants s’est transformée en désert de ruines, causées par les troupes russes, où survivent aujourd’hui 100 mille habitants sans parler de la catastrophe écologique et humanitaire. À partir de l’été 2022, les médias russes commencent à relayer des déclarations de la soi-disante reconstruction de Marioupol. Les drames et la catastrophe humanitaire causés par les occupants n’empêchent pas la propagande russe de se répandre dans la ville.
Avant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, Marioupol était un centre industriel et le plus grand port de commerce ukrainien situé sur la mer d’Azov.
Les troupes russes et les terroristes de la République populaire de Donetsk ont tenté de s’emparer de Marioupol en 2014, cependant grâce à l’opération réussie de l’armée ukrainienne, la ville a été libérée et les troupes russes n’avaient plus aucun moyen d’avancer vers Melitopol pour former un couloir terrestre en direction de la Crimée occupée.
Le vétéran américain et journaliste Nolan Peterson se souvient :
– Lors de mon premier voyage en 2014 je pensais rester 2-3 semaines. Mais cet été-là je suis allé à Marioupol qui a été attaqué par les troupes russes. Je me souviens parfaitement d’être assis sur une colline à regarder une bataille de chars en contrebas, j’ai alors pensé : c’est une folie, une bataille de chars en Europe, en 2014.
Pendant des années la ville, située à peine à quelques dizaines de kilomètres de la frontière russe et des républiques auto-proclamées de Donetsk et de Louhansk, souffrait régulièrement de bombardements et de tirs des troupes russes. En même temps, Marioupol est devenu un refuge pour un grand nombre de personnes déplacées qui ont fui les territoires occupés par les Russes. La ville entame alors une rapide reconstruction : les immeubles endommagés sont restaurés, les entreprises et les infrastructures se développent.
Le 24 février 2022, les occupants russes commencent à encercler la ville. À partir du 1er mars, Marioupol est assiégée : pendant plus de deux mois l’armée russe va bombarder la ville en continu. Le conseil municipal de Marioupol annonce que la puissance des projectiles tirés sur la ville est finalement supérieure à celle de la bombe atomique larguée sur Hiroshima.
Au stade de la guerre à grande échelle, la défense de Marioupol par l’armée ukrainienne a duré 86 jours, dont la plupart dans un état de siège. Après de longs combats, le commandement militaire supérieur de l’Ukraine a donné l’ordre aux défenseurs de la ville de quitter le territoire de l’usine métallurgique « Azovstal », devenue une véritable forteresse pour les soldats ukrainiens, dans le but de préserver leurs vies. Le 20 mai, le dernier groupe de combattants quitte « Azovstal ».
CLes pertes à Marioupol et l’éco-terrorisme russe
La plus terrifiante conséquence de l’occupation russe est le bilan humain. Selon les premières estimations de l’administration municipale, en date du 7 juillet 2022, plus de 22 mille civils ont trouvé la mort dans les bombardements, plus de 50 mille Ukrainiens sont déportés en Russie et dans les territoires temporairement occupés de Donetchtchyna et de Crimée. Ces chiffres sont loin d’être définitifs car l’accès à la ville étant impossible, le nombre de victimes ensevelis sous les décombres des bâtiments n’est toujours pas établi, tout comme le nombre de personnes enterrées dans les fosses communes.
Les habitants de Marioupol qui ont choisi de rester dans la ville occupée souffrent de contrôles permanents, et ceux qui tentent de quitter la ville, sont forcés de se rendre dans des camps de filtration. Suite aux bombardements continuels de l’armée russe près de 90% du parc immobilier de la ville a été détruit, des hôpitaux, des écoles, des crèches ont été démolis. Il n’y a ni gaz, ni eau en ville, le réseau électrique est endommagé.
Catastrophe ecologique marioupol
Au printemps 2022, les écologistes et les personnalités publiques ont évoqué la catastrophe humanitaire et environnementale de Marioupol. En mai 2022, le conseil municipal ukrainien de Marioupol a informé de la menace de l’extinction complète de la vie marine en mer d’Azov suite aux bombardements de l’usine « Azovstal » qui ont possiblement endommagé la structure technique de la bâtisse qui retient des dizaines de milliers de tonnes de solution concentrée de sulfure d’hydrogène.
– La fuite de ce liquide mènera à la destruction complète de toutes espèces de flore et de faune de la mer d’Azov. Ensuite, ces substances dangereuses peuvent atteindre la Mer Noire et la Mer Méditerranée.
Parmi les menaces les plus sérieuses, il y a l’infiltration des produits de décomposition des corps, des bactéries et d’autres agents pathogènes dans le système d’approvisionnement en eau, les sources souterraines et les rivières qui se jettent dans la Mer d’Azov. Selon les déclarations du maire de Marioupol, Vadym Boychenko, dans une interview à la BBC en juin 2022, des épidémies de maladies infectieuses ont été enregistrées. Il affirmait également que le choléra, la dysenterie et d’autres maladies infectieuses s’étaient propagées dans la ville, mais que les forces d’occupation russes l’avaient caché.
Pendant ce temps, les occupants transforment progressivement le port de Marioupol en base militaire. Ils l’utilisent également pour exporter des céréales et du métal ukrainiens pillés. Fin décembre 2022, tous les habitants de Marioupol qui travaillaient dans le port ont été licenciés (à l’exception de quelques collaborateurs) et remplacés par des travailleurs venant de Russie.
Les déclarations de la Russie quant aux projets de reconstruction rapide de Marioupol
À partir de juin 2022, les médias russes commencent à relayer des déclarations au sujet de la reconstruction de Marioupol.
Les autorités de la Fédération de Russie annoncent que les travaux de construction de grande envergure sont menés en permanence sur tout le territoire de la ville. L’administration ukrainienne de Marioupol informe que les immeubles d’habitation sont construits à proximité des lignes de défense fortifiées sous la supervision du Ministère de la défense russe. Ce qui signifie que ces logements seront destinés aux militaires russes et aux personnes qui travailleront dans les bases militaires russes.
Armée russe Marioupol. Une inscription sur le toit de l’immeuble : « L’armée de la Russie aux habitants de Marioupol »
Dans un article du bureau ukrainien de « Radio Liberty » est évoquée la situation autour de la construction d’un nouveau complexe résidentiel qui, selon l’administration d’occupation, deviendrait un symbole du pouvoir russe à Marioupol. La maîtrise d’œuvre est confiée à la « Société russe de construction militaire » dont l’une des spécialisations est la construction de villes militaires.
Dans son interview, le vice premier-ministre de la Fédération de la Russie, Marat Khousnoulline, a fait des annonces quant à la reconstruction de Marioupol pendant la décennie 2025-2035, le président de la Russie aurait également décrété la construction d’un hôpital moderne dans la ville. Khousnoulline évoque entre autres la restauration du centre historique, de nouvelles approches quant à la gestion des aires de stationnement, le développement des transports publics et des pistes cyclables. Enfin, même la palette de couleurs censée offrir un « nouveau visage » à la ville figure dans les projets.
Outre les grands complexes immobiliers promis par les autorités d’occupation, les médias de propagande parlent de la construction de 60 modules de plain-pied en béton, de type « auberge ». Divisés en plusieurs pièces pour 8 personnes, ces modules serviraient de logement temporaire. Ils seraient également équipés de toutes les commodités (électricité, chauffage, eau, canalisation). Ces bâtisses pourraient également accueillir des habitants de Marioupol dont le logement a été détruit. Cependant les lieux choisis pour la construction ne sont pas adaptés à la vie du point de vue de l’infrastructure et de l’écologie.
Le conseiller du maire de Marioupol Petro Andryushchenko appelle les bâtisses érigées par les Russes des « poulaillers en béton ». Ces constructions ne disposent pas de salles de bain, et de petites fenêtres sont situées au niveau du sol. Dans le quartier Prymorsky, les occupants russes construisent des « poulaillers en béton préfabriqués » qu’ils font passer pour des immeubles de plusieurs étages. Chacune de ces bâtisses compte 266 appartements et permet de loger 600-700 personnes. Pourtant, il n’est pas prévu d’y installer un système de chauffage centralisé et d’approvisionner ces immeubles en gaz.
Chantier russe Marioupol
Petro Andryushchenko a commenté les projets des occupants russes de démanteler des bâtiments endommagés et de « reconstruire » Marioupol : « Des entreprises de construction de Moscou et de Saint-Pétersbourg arrivent à Marioupol et moyennant des pots-de-vin classent des bâtiments entiers comme étant potentiellement dangereux, afin de les démolir et lancer ensuite de nouveaux chantiers à ces emplacements. Hormis la destruction totale de la ville de Marioupol, la Russie n’a rien apporté. Destruction, mort, ruines, telle est la triste réalité de Marioupol sous occupation. »
Andryushchenko a aussi évoqué la situation avec les matériaux de construction. Il a souligné que pendant que les entrepreneurs russes détournent l’argent du budget, les travailleurs russes arnaquent les entrepreneurs. Et comme il y a une pénurie de matériaux de construction, les Russes pillent les logements des habitants de Marioupol : des fenêtres et des radiateurs sont volés, puis vendus.
Ruines Marioupol
Le conseil municipal ukrainien de Marioupol a rapporté que les habitants de Marioupol avaient passé l’hiver pratiquement sans chauffage :
À la place des fenêtres, les résidents ont installé un simple film plastique. Les gens n’ont pas de chauffage et gèlent. Le gouvernement collaboratif ne fait rien. Les occupants poursuivent le génocide de la population civile de Marioupol.
Selon l’administration, les seules tentatives des autorités d’occupation de régler la situation se résumaient à la distribution de radiateurs électriques aux habitants. Pour les obtenir, les gens se voyaient obligés de faire des queues qui s’étendaient sur plusieurs kilomètres, toutefois il n’y avait aucun moyen de brancher ces appareils car la grande majorité des habitants était privée d’électricité.
Nous avons froid Marioupol. L’inscription sur le balcon d’un immeuble à Marioupol : « Nous avons froid. Aidez-nous », hiver 2022-2023
Même si les occupants assurent que l’approvisionnement en électricité, gaz et eau est rétabli, en réalité à Marioupol, les conduites d’eau, les systèmes de chauffage central et les chaufferies sont endommagés. La Russie n’envisage pas de réparer le réseau gazier urbain en raison d’une éventuelle contre-offensive de l’armée ukrainienne.
Petro Andryushchenko, conseiller du maire de Marioupol, a qualifié l’absence de chauffage dans la ville durant l’hiver 2022-2023 de « kholodomor » (kholod signifiant froid en ukrainien, en référence à « golodomor », note de traductrice). Le 6 décembre 2022, il a souligné que de cette façon les autorités d’occupation ont abandonné les habitants de Marioupol, continuant de les tuer par le froid :
– Apparemment, selon la stratégie des Russes, le chauffage en hiver n’est pas une priorité. Selon nos sources, la principale raison en est la clôture du financement des travaux de réparation issus des budgets régionaux de Moscou pour l’année en cours (2022 — ndlr).
Pendant ce temps, les habitants de Marioupol qui n’ont pas quitté leur ville malgré l’occupation, vivent dans des conditions inhumaines. Cependant, cela n’empêche pas les chaînes de télévision fédérales de Russie de diffuser leur propagande : plusieurs films documentaires ont été projetés sur un site équivalent russe de YouTube, où, sur fond de destruction, – qu’ils ne cachent pas, mais présentent de façon mensongère comme conséquence des bombardements ukrainiens -, et de la musique héroïque, ils parlent de « victoire » ou d’un prétendu retour à la vie de Marioupol.
Comment la propagande russe agit dans la Marioupol occupée
Dans une interview accordée au bureau ukrainien de « Radio Liberty », un représentant du conseil municipal de Marioupol a raconté que les médias télévisés russes montraient à plusieurs reprises la construction du même bâtiment à Marioupol. En outre, dans de nombreuses vidéos de propagande, on remarque un plan très rapproché – les résidents seraient montrés sur fond de nouveaux bâtiments. Les caméramans choisissent exprès ces angles afin de ne pas filmer la destruction des habitations à l’intérieur ainsi que les ruines entourant les nouvelles constructions.
Ruines Marioupol
Les propagandistes russes tournent des reportages mis en scène pour illustrer le « retour de la ville à la vie ». Selon l’adjoint au maire de Marioupol, la Fédération de Russie prépare la plus grande falsification de témoignages de citoyens selon lesquels la ville aurait été détruite par l’armée ukrainienne. Pour mener à bien cette opération, les occupants russes ont tenté de soudoyer les habitants et ont annoncé une campagne d’indemnisation pour logement détruit ou perte d’un membre de la famille. Toutefois, lors du dépôt du formulaire, les habitants de Marioupol étaient obligés de mentionner que leurs biens “ont été détruits par l’armée ukrainienne” et leurs proches ” tués par les soldats ukrainiens”. Si cette mention ne figurait pas sur le formulaire, les occupants les informaient que la demande d’indemnisation ne pourrait pas aboutir.
Menacés par les Russes, sous pression psychologique et en raison du blocus de l’information, les habitants de Marioupol signent ces déclarations. Ainsi, la Russie obtient des milliers de « témoignages » écrits sur les « atrocités commises par l’armée ukrainienne » qu’elle peut utiliser pour créer de la propagande dans les médias.
Il est évident que la Russie est incapable de verser les indemnisations annoncées. En effet, les habitants de Marioupol se voient promettre 500 000 roubles (environ 6 000 dollars américains) pour un logement détruit et 3 millions de roubles (environ 33 000 dollars américains) pour un membre de famille décédé. Pour tenir ces promesses, la Russie doit dépenser au moins 2,5 milliards de dollars américains. Or le pays ne dispose pas de fonds nécessaires pour financer de telles dépenses : le déficit budgétaire de la Russie pour 2023 a atteint un niveau record (56 milliards de dollars).
Ces témoignages mensongers permettent aux médias russes de manipuler leurs citoyens et créer dans la société un climat dont ils ont besoin. L’accent est mis sur les accusations des autorités et de l’armée ukrainiennes et sur le rôle accru des « libérateurs » russes.
L’administration municipale de Marioupol évoque également des « véhicules zombies » – des véhicules acheminés à Marioupol par les occupants et qui servent à diffuser des récits de propagande auprès de la population locale. Les envahisseurs russes ont également installé dans les rues de la ville 12 écrans de télévision géants toujours dans l’objectif de diffusion de leur propagande.
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Pour la Fédération de Russie, la télévision est le principal moyen de diffusion des positions pro-russes. Petro Andryushchenko a publié un post sur le fait que les occupants ont décidé de lancer à Marioupol un projet de connexion gratuite à la télévision par satellite sur les territoires occupés et ont annoncé une campagne d’enregistrement de demandes pour l’installation d’équipements dans les logements. Le conseiller du maire a écrit à ce sujet :
Le coût de l’équipement satellite dépasse le coût d’un radiateur électrique, mais la propagande est plus importante que la chaleur.
Les médias internationaux parlent de la propagande éducative utilisée à Marioupol. Les Russes ont imposé l’écoute quotidienne de l’hymne national russe dans les écoles. Les élèves utilisent des manuels contenant des données historiques fictives sur la Russie et l’Ukraine. Les enseignants-propagandistes ont reçu pour instruction d’attendre les élèves dans les écoles, car tous les habitants ne voulaient pas envoyer leurs enfants dans des établissements d’enseignement. Alors les familles ont eu droit à des visites des enseignants, mais aussi des soldats armés qui devaient leur « rappeler » l’importance de fréquenter les établissements d’enseignement. Si les parents n’envoient pas leurs enfants à l’école, ils se verront retirer leurs droits parentaux et les enfants seront emmenés dans des internats ou des écoles militaires en Russie. Par le biais de l’éducation, la Fédération de Russie cherche à inculquer des opinions pro-russes et à former une vision du monde complètement déformée chez les élèves. Les occupants ont également recours à la manipulation et à l’intimidation – ces méthodes violentes accompagnent leurs activités de propagande.
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Petro Andryushchenko a raconté que l’une des écoles a reçu, la veille des fêtes de fin d’année, la visite d’une représentante de l’agence de sécurité d’occupation. Elle a parlé aux enfants et souligné qu’il ne fallait pas faire de sabotages et signaler si quelqu’un “préparait un complot” – glorifiait l’Ukraine. Dans toutes les écoles ont également eu lieu des « conversations » au sujet du Nouvel An – des traditions, des valeurs familiales et le rôle de la Russie dans la célébration de cette fête. À les écouter, le monde occidental essayait de voler le Nouvel An aux familles traditionnelles, mais Poutine l’a sauvé en déclenchant une guerre contre l’Ukraine.
Immeuble en ruine Mariupol
La Russie utilise la propagande pour contrôler l’espace de l’information, promouvoir ses propres récits et manipuler les faits. Le pays agresseur tente ainsi de détourner l’attention de ses crimes. Les déclarations sur la reconstruction de Marioupol servent aux autorités d’occupation de cacher les preuves de destructions causées par la Fédération de Russie dans la ville. Cependant, l’unité et la stabilité du monde démocratique permettront d’attendre la libération de Marioupol afin de venir en aide aux citoyens après la désoccupation, enquêter sur les tragédies, trouver les coupables et les traduire en justice.