Comment la Russie instaure-t-elle l’occupation cognitive, à quels défis devrions-nous faire face après la libération des territoires occupés ? Et pourquoi devons-nous veiller dès maintenant à ce que les enfants qui ont dû grandir dans l’occupation ne se retournent pas contre leurs compatriotes dans le futur ? Des réponses à ces questions et à d’autres ont été cherchées en collaboration avec le Centre d’éducation civique « Almenda ».
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Cette publication contient des liens vers des sites russes qui, dans certains pays, ne peuvent être ouverts que via un VPN.Le 27 février 2014 est considéré comme la date officielle du début de l’occupation de la péninsule de Crimée, ce qui est confirmé dans la décision sur la recevabilité par la Cour européenne des droits de l’homme. Après l’occupation de la Crimée, l’intégration globale de la péninsule occupée dans le « monde russe » a commencé. L’éducation n’y échappe pas, puisque Poutine, dès le début de son règne, en a fait un outil pour inculquer un patriotisme morbide chez les enfants et les jeunes.
Actuellement, en Crimée, les écoles enseignent en russe, les enfants apprennent les « valeurs traditionnelles russes » et participent activement aux mouvements russes de la jeunesse et des enfants, y compris les mouvements militarisés. Seuls 197 enfants ont la possibilité de recevoir un enseignement permanent en langue ukrainienne, et aucune école de Crimée n’enseigne le programme ukrainien.
Il est à noter qu’après l’occupation de nouveaux territoires ukrainiens en 2022, le chef de la Fédération de Russie a souligné que grâce au remplacement du système éducatif ukrainien par le russe, ces territoires seront fondamentalement consolidés dans la Russie et les gens pourront apprécier pleinement les avantages de leur nouvelle vie. Et malheureusement, le pays agresseur a déjà testé ce scénario sur près de 200 000 écoliers ukrainiens qui vivaient en Crimée au moment de l’occupation et y vivent aujourd’hui. Il est important de comprendre que ces calculs sont approximatifs et non définitifs, car il n’existe actuellement aucune plateforme contenant des données officielles à ce sujet et les statistiques de Sébastopol, en raison du statut particulier de la ville, sont généralement enregistrées séparément.
Malgré tous les efforts diplomatiques de l’Ukraine et de ses partenaires, la Russie contrôle toujours la Crimée, et c’est pourquoi le Centre de l’éducation civique « Almenda » surveille depuis 2014 la situation éducative sur le territoire de la péninsule temporairement occupée. Fondée en 2011 à Yalta, dans le but de l’éducation dans le domaine des droits de l’Homme, cette organisation a été contrainte après l’occupation de s’évacuer à Kyiv et de changer la direction de ses activités. Aujourd’hui, l’équipe documente les crimes russes contre les enfants ukrainiens vivant en Crimée et dans les parties occupées de la Tauride et de la région d’Azov. Tout d’abord, « Almenda » collecte des informations à partir de sources ouvertes, en particulier, elle analyse les publications des médias locaux et des réseaux sociaux, y compris les pages d’organisations et d’institutions contrôlées par la Russie, car c’est souvent la seule source d’information sur ce qui se passe dans les territoires occupés.
Après l’invasion massive de la Fédération de Russie, alors que d’autres territoires du Sud de l’Ukraine étaient également occupés, il est devenu évident que dans le domaine de l’éducation, les occupants opèrent selon l’algorithme développé en Crimée que l’équipe d’« Almenda » appelle le « scénario de Crimée », pour la destruction de l’identité par l’éducation. Dans cet article, réalisé sur la base de leurs rapports de suivi du cycle « Soldat universel » (février 2022 à juillet 2023), les chercheurs racontent à quel point l’influence idéologique du gouvernement russe est puissante sur les enfants ukrainiens qui vivent encore dans les territoires occupés, et à quels défis les Ukrainiens s’attendront après la libération de ces régions des envahisseurs.
Quel est le « scénario de Crimée » de la destruction de l’identité par l’éducation ?
L’éradication de la composante des études ukrainiennes dans l’éducation, l’endoctrinement et la militarisation des enfants et des jeunes sont les trois étapes qui, selon les chercheurs d’« Almenda », constituent le « scénario de Crimée » que joue la Fédération de Russie depuis 2014. Tous ces événements peuvent se produire en parallèle, comme en témoigne la situation actuelle. Cependant, le pire est que le pays agresseur ne s’est pas arrêté uniquement sur le territoire de la Crimée : il réinvente à sa manière le processus éducatif dans d’autres territoires occupés de l’Ukraine. La Russie, en supprimant la composante d’études ukrainiennes de l’éducation dans les localités qu’elle occupe, fait perdre à ses habitants leur lien culturel, notamment linguistique, avec l’Ukraine. Cela compliquera considérablement le processus de réintégration, en particulier pour les enfants nés sous l’occupation et qui n’ont en réalité eu aucune interaction avec la langue ukrainienne en dehors du cercle familial (au mieux).
Endoctrinement
Mise en œuvre ciblée de certaines idées politiques pour la formation d'une certaine conscience sociale. Cela peut se produire dans diverses sphères de la vie, du culturel au religieux.En détruisant les ponts invisibles entre l’Ukraine et la péninsule temporairement occupée, la Russie force depuis plus de dix ans les Criméens à entrer dans son espace idéologique. Les objectifs de l’endoctrinement de la Russie sont de créer une loyauté envers elle, d’établir des récits qui lui sont favorables dans l’esprit des gens, c’est-à-dire d’éduquer de faite des citoyens « commodes » incapables d’analyser l’information de manière indépendante et, surtout, de ne pas remettre en question les actions du gouvernement russe.
Un autre objectif est de recruter de nouveaux conscrits dans les territoires occupés, car l’obtention d’un passeport russe, même par la force, constitue un motif formel de conscription dans les forces armées de la Fédération de Russie. Selon le parquet de la République autonome de Crimée, la Russie, de 2015 à 2023, a mené 16 campagnes de conscription pour les jeunes hommes âgés de 18 à 30 ans dans la péninsule, à la suite de quoi plus de 39 000 Criméens ont été contraints de servir dans les forces armées russes, allant ainsi à l’encontre du droit international.
Également depuis 2014 en Crimée « l’éducation militaro-patriotique » est introduite dans les établissements d’enseignement, qui vise à préparer au service dans les forces armées russes, et à partir de 2022, la formation militaire initiale fait partie intégrante des programmes éducatifs. Autrement dit, les enfants de l’âge scolaire sont préparés au service dans l’armée russe et, après avoir terminé leurs études, tout jeune homme apte au service militaire doit « remplir l’obligation de servir dans l’armée russe ». La conscription de jeunes Criméens dans l’armée russe constitue un crime de guerre au sens de l’article 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
L’endoctrinement conduit donc à l’étape suivante : la militarisation, visant à garantir qu’une personne est prête à servir dans les forces armées de la Fédération de Russie et, par conséquent, à se battre pour ce pays.
La propagande du culte de la guerre auprès des enfants et des jeunes, en particulier dans les territoires temporairement occupés de l’Ukraine, selon le plan de la Fédération de Russie, devrait donner une perception positive de l’occupation à laquelle la Russie a participé, participe ou prendra part. « L’héroïsme des libérateurs » est un concept que les Russes ont soigneusement entretenu pendant des générations et qui légalise dans le mental, en particulier, la guerre déclenchée en Ukraine.
Collectivement, ces trois éléments — la destruction de la langue et de l’histoire de l’Ukraine, l’endoctrinement et la militarisation — visent à détruire l’identité ukrainienne des habitants des territoires occupés et à les « rééduquer » pour en faire des « sujets » russes, prêts à lutter contre l’Ukraine et mourir pour la Fédération de Russie.
Malheureusement, c’est exactement ainsi que se terminent les histoires de quelques jeunes hommes de la Crimée temporairement occupée, morts dans la guerre contre l’Ukraine sous l’influence des autorités russes. Aujourd’hui, la Fédération de Russie installe des plaques commémoratives en leur honneur dans les établissements d’enseignement de Crimée. Au début de l’occupation, certains des tués étaient encore des écoliers et puis ont fait leur service dans l’armée russe. Malheureusement, ces habitants de la péninsule ont non seulement ressenti pleinement les effets du « scénario de Crimée » de la Fédération de Russie, mais en sont également devenus les victimes.
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Étape 1. Destruction de la langue et de l’histoire de l’Ukraine dans l’éducation
La première étape de la destruction de l’identité des Ukrainiens, à laquelle recourt la Fédération de Russie, est la suppression de la composante d’études ukrainiennes dans l’éducation. Voici ce que le pays agresseur a fait en Crimée occupée et dans le Sud de l’Ukraine continentale :
– éradication de la langue et la culture ukrainiennes de l’espace public ;
– russification du processus éducatif : remplacement des manuels et livres ukrainiens par des livres russes, interdiction de l’enseignement des matières du cycle d’études ukrainiennes (notamment l’histoire de l’Ukraine, la langue et la littérature ukrainiennes) ;
– déformation de l’histoire des Tatars de Crimée dans les manuels scolaires, les présentant comme des complices des troupes allemandes et déformant également l’histoire de la déportation de ce peuple en 1944 ;
– remplacement partiel des enseignants locaux par des enseignants russes et « rééducation » idéologique active des éducateurs ukrainiens ;
– persécution des militants ukrainiens.
Crimée et Sébastopol. Destruction des manuels scolaires et perte de contact avec la langue maternelle
Depuis le 1er septembre 2014, dans les écoles de Crimée temporairement occupée, on a commencé à enseigner selon des programmes russes et, par conséquent, en langue russe. C’est-à-dire que depuis lors, les écoliers de Crimée ne peuvent plus recevoir une éducation ukrainienne et apprendre l’ukrainien, en particulier, ils n’étudient pas les matières du cycle d’études ukrainiennes (langue, littérature, histoire, etc.). Selon Crimée SOS, avant l’invasion de la péninsule par la Fédération de Russie, 100 % des élèves (191 000 enfants) y étudiaient la langue ukrainienne, et les données de l’administration d’occupation de Crimée montrent qu’en 2022 seulement 0,1% des écoliers (un total de 197 élèves) étudiaient encore l’ukrainien.
Les manuels scolaires ukrainiens ont été saisis et détruits dès 2014 et remplacés par des manuels russes pleins d’idéologie « correcte ». Eskender Bariev, membre du Mejlis (gouvernement) du peuple Tatar de Crimée, a déclaré que dans l’un des établissements d’enseignement près de Simferopol, des livres du programme scolaire, publiés en Ukraine, avaient manifestement été détruits devant les élèves. Les livres ukrainiens ont été retirés des bibliothèques en tant que « littérature extrémiste », et des médias de langue ukrainienne, pour l’instant, demeure seul le magazine «Крим сьогодні» (« Crimée aujourd’hui ») créé en 2020 avec le soutien du « président de la République de Crimée » Sergueï Aksionov et publié jusqu’à présent tous les trois mois, mais on trouve surtout des mentions du magazine dans des rapports des représentants des administrations d’occupation. Il est intéressant de noter que les propagandistes russes auraient envoyé le premier exemplaire de ce magazine au président ukrainien, Volodymyr Zelensky, pour montrer comment la langue ukrainienne est développée et entretenue dans la Crimée occupée.
Le ministre de l’Éducation de la Fédération de Russie Sergueï Kravtsov a déclaré en janvier 2023, que cette année, des manuels d’histoire paraîtraient dans les écoles de Crimée, qui comporteraient une section sur “l’opération spéciale”. Pourtant, de nombreux livres font déjà ce travail. Ainsi, par exemple, est apparue, en mai 2023, une photo d’un manuel pour la 10e et la 11e classe, qui parle du « régime antipopulaire de Kiev » sur le territoire de l’Ukraine et de l’opposition de la Russie à « l’Occident collectif ». Le chapitre se termine par les mots « Notre cause est juste ! L’ennemi sera vaincu ! La victoire sera à nous !” (ici et ci-dessous – la traduction du russe par l’auteur). Dans un autre manuel pour la 11e classe, l’Ukraine est qualifiée d’« État ultranationaliste » et les forces armées ukrainiennes de « néo-nazis ». Dans les manuels scolaires, également prévus d’apporter dans les territoires temporairement occupés et avec lesquels il est proposé de préparer l’examen d’État unifié russe en 2024, les élèves de terminale des écoles des territoires occupés, devront, par exemple, déterminer les raisons de ce qu’on appelle « l’opération spéciale ». Bien entendu, chacune des réponses possibles est absurde et s’inscrit dans l’esprit du « monde russe ».
Bien entendu, les éducateurs ukrainiens souffrent également de l’occupation. Depuis 2014, les enseignants de langue ukrainienne sont contraints de se requalifier selon les normes de la Fédération de Russie pour pouvoir enseigner le russe. Ceux qui, à leurs risques et périls, ont encore osé aller à l’encontre du système, ont fini par changer de métier pour ne pas coopérer avec les occupants et au moins gagner leur vie d’une manière ou d’une autre.
La Fédération de Russie a également activement encouragé le transfert de ses propres enseignants vers la Crimée temporairement occupée, par exemple via le programme « Zemskiy Uchitel » (« L’enseignant de zemstvo (local) ») – en 2022, 25 enseignants y ont participé.
« L’enseignant de zemstvo »
Le programme du gouvernement de la Fédération de Russie, qui prévoit des versements supplémentaires aux enseignants qui ont déménagé pour travailler dans des villages ou des villes de l’Ukraine occupée comptant jusqu'à 50 000 habitants.Il est également devenu beaucoup plus difficile d’obtenir une éducation dans la langue tatare de Crimée. Selon l’administration d’occupation de Crimée, en 2023, seulement 3,2 % des élèves (7 300) font leurs études en tatar de Crimée. Les autorités russes sont en train de bannir cette langue.
Cela montre que la Fédération de Russie fait tout son possible pour que les habitants de la Crimée temporairement occupée perdent leur lien linguistique avec l’Ukraine, et que les Criméens, dont la langue maternelle est le tatar de Crimée, perdent le lien avec leur langue. Les enfants nés sous l’occupation n’ont pas de contact avec leur langue maternelle dans l’espace public, car les autorités d’occupation la qualifient de « langue de l’ennemi ». Mais il est important de noter que, même dans de telles conditions, les habitants de la Crimée occupée continuent de résister aux envahisseurs et de préserver leur propre identité, aussi difficile et parfois dangereux soit-il.
Le Sud continental de l’Ukraine. Un nouveau classique pour les enfants et le kidnapping des enseignants
Avec le début de l’invasion massive, la géographie des territoires occupés par la Russie s’est considérablement élargie et comprend actuellement les terres ukrainiennes saisies en 2022.
En mai 2022, les responsables nouvellement nommés des administrations d’occupation de l’est et du sud de l’Ukraine ont annoncé que les établissements d’enseignement passent à l’enseignement en russe avec la possibilité de former des classes ukrainiennes à la demande des parents. De telles décisions contribuent à étayer le discours de propagande sur la prétendue préservation des droits culturels des Ukrainiens dans les territoires « libérés ». En apparence, cela ressemble à un « geste de bonne volonté », mais en réalité, les dirigeants instaurés par les occupants intimident les parents et font systématiquement pression sur eux pour qu’ils signent un refus d’étudier la langue et la littérature ukrainiennes.
L’histoire de l’Ukraine dans ces régions n’est pas du tout étudiée, mais elle est « dénazifiée » en retirant des bibliothèques les livres qui contredisent la version russe de l’histoire. Par exemple, « le ministère de l’Intérieur de la Russie dans la région de Kherson » se vantait que des livres sur l’Holodomor de 1932-1933 et la guerre russo-ukrainienne moderne, ainsi qu’un livre de la lauréate américaine du prix Pulitzer Anne Applebaum sur les répressions de Staline, avaient été retirés de la bibliothèque du village de Novotroitske. Au lieu de cela, les enfants reçoivent des manuels dans lesquels une interprétation favorable des événements historiques est imposée. Par exemple, Sophie de Kyiv et la Porte d’Or sont présentés comme le « patrimoine artistique de la Russie », et les événements sur le Maïdan en 2014 sont qualifiés de « coup d’État » parrainé par les pays de l’OTAN, en particulier les États-Unis et l’UE.
Sophie de Kyiv et la Porte d’Or
La cathédrale chrétienne de Sophia de Kyiv et le bâtiment défensif la Porte d’Or comptent parmi les monuments les plus anciens d'Europe de l'Est. Les deux monuments sont situés à Kyiv et font partie des rares bâtiments survivants de l’époque de la Russie kiévienne.Manuels et livres ukrainiens, reconnus par « l’expertise » du ministère russe de l’Éducation comme « déformant la vérité historique et favorisant la haine de la Russie », sont retirés de l’usage public. Au lieu de cela, les livres russes sont importés, avec une interprétation « politiquement correcte » de l’histoire. L’analyse des manuels apportés dans les territoires occupés, notamment sur l’histoire, la géographie et la littérature, confirme que la politique colonialiste de la Fédération de Russie en matière d’éducation vise à changer la conscience de la population des territoires occupés et à compliquer (ou complètement rendre impossible) leur retour mental dans l’espace ukrainien.
Les bibliothèques locales n’ont pas été épargnées par les occupants. Par exemple, en mai 2022, de la bibliothèque centrale de Melitopol, des livres historiques et de la littérature classique ukrainienne prétendument « diffusant des idées nationalistes » ont été saisis. Et en juin, l’ensemble du système de bibliothèques de la ville a reçu plusieurs milliers d’éditions de Russie : ouvrages classiques de la littérature russe, littérature historique et militaire et livres pour les enfants d’âge scolaire et primaire. Aux écoliers du Sud occupé en février 2023 ont été remis des livres de classiques russes, dont Alexandre Kouprine, Marina Tsvetaieva, Anton Tchekhov, Ivan Tourgueniev et d’autres, ainsi que des œuvres pour enfants. Il est significatif que les Russes appellent de telles actions des « missions humanitaires », censées améliorer la situation des enfants dans ces territoires.
La guerre à grande échelle a actualisé le débat sur ce que représente en réalité la célèbre littérature classique russe. L’une des conclusions est qu’il s’agit d’un outil d’influence douce, discret mais extrêmement puissant, qui normalise la politique colonialiste de la Russie et promeut le mépris de ses peuples asservis, y compris les Ukrainiens. Les enfants qui ont grandi avec cette littérature pendant des années – et depuis 2014, beaucoup ont déjà obtenu leur diplôme de collège et de lycée – après la désoccupation, auront besoin d’un travail éducatif à long terme de la part de spécialistes pour calibrer leurs lignes directrices de valeurs sur celles suivies par les pays démocratiques.
Les occupants ont déclaré en août 2023 que dans l’année en cours, ils prévoient d’importer environ 2 millions de livres russes.
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Comme en Crimée, les éducateurs de la région d’Azov et de Tauride continentale souffrent également d’une « intimidation éducative » : ils sont contraints d’adopter les normes éducatives russes. La pression émotionnelle, les menaces et même l’enlèvement de ceux qui ont refusé de coopérer avec les autorités d’occupation sont autant d’outils pour changer l’espace socioculturel auquel la Fédération de Russie a recours.
Le droit à l’éducation ukrainienne à distance des enfants et même le droit à l’enseignement à domicile sont retirés aux parents, persécutant ceux qui ne veulent pas envoyer leurs enfants dans des écoles russifiées. Tous ces efforts de la Fédération de Russie, ainsi que la menace constante pour la vie (hostilités actives dans certaines régions) et les difficultés qui l’accompagnent dans les réalités d’une guerre à grande échelle (accès limité à Internet, manque de produits de première nécessité) visent à empêcher les enfants ukrainiens de recevoir une éducation ukrainienne. C’est ainsi qu’ils s’éloignent progressivement du contexte ukrainien dès leur plus jeune âge.
Étape 2. Endoctrinement des enfants ukrainiens à la russe
Le deuxième élément du « scénario de Crimée » est l’endoctrinement, grâce auquel la Fédération de Russie inculque dans l’esprit des gens des récits qui lui sont bénéfiques sur « les valeurs traditionnelles russes ». Il s’agit en particulier du patriotisme, de la citoyenneté, du service à la « Patrie » et de la responsabilité de son sort, de la priorité du spirituel sur le matériel, du collectivisme, de l’entraide, de la mémoire et de la continuité historiques et de l’unité des peuples de Russie. Conjugué à l’isolement du contexte ukrainien, cela ne fait que renforcer l’effet souhaité des occupants consistant à « rééduquer » les Ukrainiens en Russes. Ce qu’a fait et continue de faire la Fédération de Russie à cet effet à travers l’éducation, les médias et la culture de masse dans les territoires ukrainiens qu’elle occupe :
– imposer l’auto-identification en tant que véritable citoyen de la Fédération de Russie et susciter par tous les moyens un sentiment de fierté d’appartenance à la « grande Patrie » (par la participation à des événements de masse qui glorifient la Russie, des voyages dans des lieux historiques, en particulier les lieux de la « gloire militaire » de l’armée soviétique pendant la « Grande Guerre patriotique ») ;
– engager les écoliers et les étudiants dans des mouvements de jeunesse russes qui promeuvent les « valeurs traditionnelles » russes et en même temps militarisent leur conscience (« Aiglons de la Fédération de Russie », le « Mouvement des Premiers », les « Bénévoles de la Victoire », etc.) ;
– déformer la perception de l’Ukraine en la plaçant dans les manuels scolaires d’histoire en tant qu’État fasciste et néo-nazi ;
– former dans l’esprit des gens l’image de l’Occident collectif (pays de l’UE, États-Unis, etc.) comme l’Ennemi, les pays hostiles.
Crimée et Sébastopol. Légendes et flash mobs propagandistes
En 2014, le gouvernement d’occupation de Crimée a approuvé le « Concept d’éducation patriotique, spirituelle et morale en République de Crimée ». Après avoir analysé ce document, les chercheurs d’« Almenda » sont arrivés à la conclusion que le système d’éducation formelle et informelle de la péninsule occupée vise à former chez les enfants une identité russe et l’idée que la participation aux guerres menées par la Fédération de Russie est ” le devoir sacré de tout citoyen de Russie”. Mais ce n’était que le début.
Depuis fin mai 2015, les autorités occupantes ont commencé à mettre en œuvre sur le territoire de la Crimée la « Stratégie pour le développement de l’éducation dans la Fédération de Russie pour la période allant jusqu’en 2025 », qui traite de la manière de former l’identité russe. En bref, introduire l’éducation militaro-patriotique dans le processus éducatif.
En 2022, les occupants ont passé la loi locale “Sur l’éducation patriotique des citoyens de la Fédération de Russie en Crimée”. Elle a finalement légalisé et systématisé la plupart des pratiques illégales de la Fédération de Russie contre les habitants de la péninsule occupée. Et elle a également considérablement élargi le cercle de ceux qui relèvent d’une telle éducation patriotique – des institutions éducatives et religieuses ont été ajoutées.
La Russie commence la formation forcée de l’identité russe dès le plus jeune âge, lorsque les enfants ne sont pas encore capables d’analyser de manière critique les informations, en particulier les influences auxquelles ils sont exposés. Ce type de politique commence dès l’école maternelle, où l’on crée une réalité pleine de récits russes, y compris des symboles d’État ou des photos de Poutine. La Russie y recourt tant sur le territoire de sa fédération que dans les territoires occupés de l’Ukraine. Les enfants participent à une grande variété d’événements pro-russes, par exemple des flash mobs pro-gouvernementaux. Il est clair que ce fondement idéologique posé dès le plus jeune âge sera très difficile à modifier à l’âge adulte, et c’est évidemment sur cela que parie la Fédération de Russie.
Concours des écoles maternelles pour le meilleur flash mob "Ensemble, nous sommes une grande force, ensemble nous sommes le pays de la Russie." Sébastopol, du 3 au 9 juin 2022. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
Dans toutes les écoles ukrainiennes russifiées sont activement utilisés les symboles russes, on fait hisser le drapeau tricolore et chanter l’hymne national de la Fédération de Russie chaque semaine – tout cela est approuvé par le ministère de l’Éducation de la Fédération de Russie.
Lever de drapeau de la Fédération de Russie dans l'une des écoles de Crimée. 2022. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
Afin d’élever les enfants ukrainiens pour qu’ils deviennent des patriotes de la Fédération de Russie, des cours hebdomadaires du cycle « Conversations sur l’important » sont organisés dans les établissements d’enseignement secondaire général. En particulier, dans toutes les écoles des territoires temporairement occupés (ci-après — TTO), y compris la Crimée, en 2022 une leçon a été organisée sur le thème « Notre pays est la Russie » afin de « former une identité civique et une fierté pour la Russie ». De plus, au cours de l’année scolaire 2022-2023, les enfants ukrainiens ont suivi ces leçons : “La Russie est le leader mondial de l’industrie atomique”, “Journée de l’unité nationale”, “Journée des héros de la Patrie”, “Jour de la Constitution”, “Bénévoles de Russie”, “Le Mouvement des Premiers”, ” Valeurs traditionnelles russes”, “La Russie dans le monde”, “Journée de la science russe”, “Journée de la réunification de la Crimée avec la Russie”, “Journée du souvenir du génocide du peuple soviétique par les nazis et leurs acolytes”, “Journée de la Victoire. Régiment Immortel” etc. Même les noms suggèrent que la Fédération de Russie ne se contente pas de rééduquer les jeunes Ukrainiens, mais qu’elle inculque dans leur conscience, sinon la haine, du moins l’hostilité envers l’Ukraine et tout ce qui est ukrainien. Et pire encore, on utilise pour cela la suspicieuse technique habituelle : déformer l’histoire, déformer et nettoyer les informations sur la situation actuelle en Ukraine, en Russie et dans le monde, programmer des enfants pour la guerre avec l’Ukraine et l’Occident collectif.
Assister à ces cours est obligatoire, le programme et le matériel sont prescrits par les russes. Ils retracent clairement les récits de promotion de l’amour pour la patrie, c’est-à-dire pour la Fédération de Russie, d’une attitude positive à l’égard de la guerre russo-ukrainienne et de la volonté de servir la Russie, notamment dans l’armée ou les forces d’ordre russes.
La leçon "Notre pays est la Russie". Crimée, septembre 2022. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
L’endoctrinement se produit également à travers les événements informels : les autorités de la Fédération de Russie organisent de nombreux concours, compétitions et actions à caractère patriotique, qui devraient apprendre aux enfants à aimer la Russie et à en être fiers.
Concours "Nous sommes les descendants de la victoire !" Crimée, avril 2023. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
En train de former l’identité d’un représentant typique du « monde russe », la Russie accorde une grande attention aux mouvements d’enfants et de jeunes. Il s’agit de « Iounarmiya », qui a un profil essentiellement militaire, et rassemble, selon les informations officielles, près de 1,3 million de participants, mais selon un autre source — 2 millions ; “Le Grand changement” (plus de 5 millions de participants en d’août 2023) ; et à partir de 2022 , le “Mouvement des Premiers” ( en novembre 2023, compte plus de 3 millions de participants, dont 300 000 mentors, et d’ici 3 à 5 ans, ils prévoient d’impliquer 18 millions de Russes dans le mouvement des enfants) ; ainsi que “Aiglons de la Russie” (plus de 57 000 participants fin 2022). Il semble que le gouvernement russe soit en train de raviver la tradition pionnière soviétique. Il s’agit d’un système parfaitement pensé, où chaque enfant, faisant partie d’un mouvement, reçoit régulièrement une dose de propagande.
Pionniers
Mouvement des organisations communistes d'enfants en Union soviétique, dont le but était d'éduquer les écoliers dans un esprit de dévotion envers le Parti communiste. Les élèves du secondaire (de la 5e à la 9e année) figuraient parmi les pionniers.Les écoliers de 7 à 10 ans sont admis dans les rangs d’« Aiglons de la Russie ». Ce programme constitue la première étape du « Mouvement russe des enfants et des jeunes ». Ce que les organisateurs du programme appellent innocemment « le développement de l’activisme social » est en réalité un endoctrinement progressif et pluriannuel. Des consécrations à « Aiglons» ont lieu activement sur le territoire de la Crimée occupée.
Consécration à "Aiglons". Sébastopol, mai 2023. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
Le « Mouvement des Premiers » a été créé à Moscou en décembre 2022 en tant que la plus grande et la plus massive organisation pour enfants, qui, selon le plan, devrait atteindre tous les enfants en Russie et dans d’autres territoires « russes séculaires », c’est-à-dire ceux qui sont occupés et où on peut exercer l’influence idéologique. Il est à noter que selon la légende propagandiste, le mouvement a été créé à l’initiative de Diana Krasovskaya, une élève de l’école d’ingénieurs de Sébastopol, qui en avril 2022 a fait appel au président de la Fédération de Russie avec une proposition visant à créer une organisation qui unirait tous les enfants de Russie. Le premier détachement du « Mouvement des Premiers » a été créé par le ministre de l’Éducation de la Fédération de Russie Sergueï Kravtsov à Genitchesk, lors du congrès fondateur. Et déjà en janvier 2023, les Russes ont commencé activement à créer des cellules dans les établissements d’enseignement de la Crimée temporairement occupée.
Actuellement, le « Mouvement des Premiers » a un objectif ambitieux : réunir sous ses auspices tous les mouvements d’enfants et de jeunes, impliquant autant d’enfants que possible. Pour cela, le mouvement a sa propre chaîne de télévision, organise des séjours dans des camps de loisirs, ainsi qu’ accorde le soutien financier à des projets sélectionnés par les membres de l’organisation. Toutes ces incitations devraient attirer au mouvement 18 millions d’enfants en Russie et dans ses territoires occupés.
Ouverture de la branche du « Mouvement des Premiers » sur la base du Lycée n°3 Makarenko, où les étudiants de l'Université fédérale de Crimée sont devenus pour la première fois des mentors pour les enfants. Simféropol, février 2023. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
Des événements de propagande ont également lieu dans les universités. Ainsi, en mars 2022, les étudiants de l’Université fédérale de Crimée ont participé à un concert pour les militaires du 56e Régiment d’assaut de la Garde de la Fédération de Russie.
UFC
L'Université fédérale de Crimée a été créée en 2014 sur la base de l'Université nationale Vernadsky de Tauride (fondée en 1918) à Simferopol. En 2016, l'université a repris ses travaux à Kyiv.diaporama
Toutes ces mesures visent à ce que les enfants ukrainiens oublient ou n’aient pas le temps de s’imprégner de l’identité ukrainienne. Mais autre chose est également important : être un citoyen exemplaire de la Fédération de Russie, selon ses dirigeants, signifie non seulement soutenir inconditionnellement le gouvernement et chacune de ses actions, mais aussi être prêt à un « véritable service à la Patrie », c’est-à-dire au service dans l’armée (pour cela, ils recourent activement à la militarisation).
Qu’est-ce que cela signifie déjà pour l’Ukraine, après plus d’un an de guerre à grande échelle ? Premièrement, la Russie investit déjà beaucoup de ressources pour former une nouvelle génération de ceux qui sont prêts à se battre contre l’Ukraine, car la guerre russo-ukrainienne est une lutte existentielle et non une lutte pour le territoire. Deuxièmement, après la désoccupation des territoires du Sud, la société ukrainienne doit être prête à faire face à la méfiance, voire à diverses manifestations de résistance de la part de la jeunesse locale, car les années d’influence de la propagande sont indélébiles.
Le Sud continental de l’Ukraine. “YugMolodoy” (« Le jeun Sud») et la déportation des enfants
Comme dans la République de Crimée et à Sébastopol, les administrations d’occupation de la Fédération de Russie ont commencé à réformer activement les processus éducatifs sur le territoire de Tauride et dans la région d’Azov. Elles ont apporté en particulier aux écoles locales leurs propres symboles – des drapeaux, des affiches avec les armoiries et le texte de l’hymne national russe, des portraits de Poutine et de personnalités russes de la culture et de l’art. Même pendant les vacances scolaires, des événements thématiques ont été organisés à l’occasion de la Journée du drapeau russe (22 août) à Melitopol et Genitchesk, et l’année scolaire de 2022-2023 a été ouverte par la fête de la reprise des classes, durant laquelle le drapeau russe a été hissé. Il convient de rappeler que c’est aussi le scénario de la célébration de la Journée de la connaissance, une relique de l’époque de l’URSS, dont le successeur légal est la Russie actuelle.
Malheureusement, les enfants d’âge préscolaire de Tauride et de la région d’Azov n’ont pas non plus réussi à échapper à l’influence des occupants. Ainsi, le 9 juin 2023, à l’école maternelle du village de Botievé, à 50 km de Melitopol, a eu lieu les événements pour la Journée de la Russie. Lors de la célébration, les enfants ont dansé avec les enseignants vêtus de costumes de bouleau, de matriochka et d’ours, et ont également écouté l’hymne national de la Fédération de Russie. Ainsi, les symboles russes sont normalisés pour les enfants dès le plus jeune âge, leur engageant dans l’espace culturel russe.
Fête pro-russe à l'école maternelle du village. Botievé. 9 juin 2023. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
Les “Conversations sur l’important” hebdomadaires mentionnées, visant à immerger les écoliers dans les “valeurs traditionnelles russes”, ont également lieu dans les territoires nouvellement occupés. Par exemple, le 20 mars 2023 a eu lieu un cours sur le thème « Jour de la réunification de la Crimée avec la Russie » à l’école du quartier Primorsky de Skadovsk, où des récits de propagande russe ont été diffusés aux enfants.
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Les mouvements d’enfants et de jeunes pro-russes sont également actifs dans ces régions. Les occupants, en particulier, ouvrent des branches du « Mouvement des Premiers » panrusse et des organisations locales – par exemple, “YugMolodoy” est dirigé par la collaborationniste locale Ioulia Klymenko. Enfants ukrainiens sont entraînés dans les initiatives # мывместе (« ensemble »), « Bénévoles de la Victoire », « Union russe de la jeunesse », « Jeune garde de Russie unie », « Fait ! », « Corps étudiant panrusse des sauveteurs », « Volontaires-médecins », Union de « KVN » (KVN – le théâtre satirique amateur). Les membres de ces organisations diffusent activement la propagande russe auprès des enfants et des jeunes. Cette approche est peut-être la méthode d’endoctrinement la plus efficace, car elle est réalisée par des personnes du même âge.
Ioulia Klymenko, du mouvement de jeunesse #YugMolodoy, organise un quiz pour les écoliers "La Russie est ma patrie" à l'école n°1 pour les élèves de 11e année. Melitopol, mars 2023. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
L’un des outils de remplacement de l’identité auxquels recourent les russes dans les territoires occupés de l’Ukraine est l’organisation de « loisirs récréatifs » pour les enfants en Crimée et sur le territoire de la Fédération de Russie. Cependant, sous couvert de loisirs, les enfants ukrainiens sont en réalité déplacés de force et les camps d’enfants deviennent des plateformes pour leur « rééducation ». Les responsables de la Fédération de Russie et les administrations d’occupation ont déclaré à plusieurs reprises que lors de tels voyages, un vaste « programme éducatif culturel » est proposé, avec la participation à des cours optionnels et éducatifs selon les programmes russes.
Selon le Centre d’études humanitaires de l’Université de Yale, 78 % des soi-disant camps de repos qu’ils ont identifiés sont utilisés pour la rééducation politique des enfants ukrainiens et pour l’imposition de l’idéologie russe. Des représentants des mouvements d’enfants et de jeunes de la Fédération de Russie, notamment « Iounarmya », le « Mouvement des écoliers russes » et le « Mouvement des Premiers », ont également été invités à participer afin de motiver les jeunes à rejoindre ces organisations. Cela ressemble à un autre truc bien planifié, car si les enfants sont plus sceptiques quant à ce que les adultes leur disent, ils peuvent alors prendre en compte l’opinion de leurs pairs, même d’autres pays.
En outre, les représentants des administrations d’occupation russes sabotent ouvertement le retour des jeunes du « repos », ce qui a été signalé à plusieurs reprises par les parents qui tentent de ramener leurs enfants à la maison. Le Centre de recherche en sciences humaines de l’Université de Yale a découvert que des responsables russes à tous les niveaux des gouvernements fédéraux et régionaux, ainsi que des fonctionnaires des administrations d’occupation locales, étaient impliqués dans le déplacement forcé d’enfants ukrainiens.
Étape 3. Militarisation des enfants, « Iounarmiya » et classes paramilitaires
La troisième étape du « scénario de Crimée », selon « Almenda », est la militarisation. Les autorités de la Fédération de Russie considèrent la propagande de guerre comme l’un des principaux leviers d’influence et de maintien de leurs positions, c’est pourquoi elles font ceci dans le domaine éducatif dans les territoires temporairement occupés de l’Ukraine :
– implication des vétérans de la guerre russo-ukrainienne pour l’éducation patriotique des enfants ;
– organisation des actions de soutien à l’armée russe : rédaction de lettres aux soldats, collecte d’aides pour le front dans les établissements d’enseignement, etc. ;
– ouverture des classes paramilitaires spécialisées de cadets et de cosaques* et favorisation de la formation dans les établissements d’enseignement militaire (écoles Souvorov et Nakhimov) ;
– attirer les enfants vers l’organisation militaire et patriotique de la jeunesse russe « Iounarmiya », ainsi que vers des camps, des jeux et des compétitions militaro-patriotiques avec un élément militaire ;
– introduction d’une formation militaire obligatoire dans les établissements d’enseignement secondaire et supérieur dans le cadre du programme d’études de tous les étudiants.
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Nous parlons des Cosaques du Don, que les Russes considèrent comme un sous-groupe ethnique de Russie, dont les représentants datent du XVIe siècle, vivant sur le territoire actuel de la région d'Azov, des régions orientales de l'Ukraine et de la région de Volgograd de la Fédération de Russie.Crimée et Sébastopol. Serments, « leçons de courage » et enfants d’âge préscolaire en uniforme militaire
Les enfants vêtus d’uniformes militaires, les célébrations des “Jours de gloire militaire de la Russie” avec l’utilisation du ruban de Saint-Georges, interdit en Ukraine et dans un certain nombre de pays de l’UE, les événements solennels avec la participation d’anciens combattants de la soi-disant « opération spéciale » – tout cela est aussi la réalité pour les enfants vivant sous occupation russe dans la République autonome de Crimée et à Sébastopol.
Célébration du 78e anniversaire du Jour de la Victoire à l'école maternelle « Rucheyok » (La Source). Nijnyohirsk, le 9 mai 2023. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
C’est pourquoi fonctionne le mouvement militaro-patriotique panrusse des enfants et des jeunes « Iounarmia », intégré dans le processus éducatif des établissements d’enseignement de Crimée à compter du 1er septembre 2016. Cependant, en Crimée, les participants y ont été acceptés fin mai 2016, soit deux mois avant l’enregistrement officiel (fin juillet 2016) de cette organisation sur la péninsule. À cet effet, une téléconférence avec Moscou a été organisée et Choïgou, ministre de la Défense de la Fédération de Russie, a reçu le serment des enfants âgés de 8 à 18 ans.
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La Fédération de Russie crée des détachements sur la base d’écoles autrefois ukrainiennes mais actuellement russifiées avec le mouvement de « Iounarmiya », où les enfants apprennent à manier les armes et sont impliqués dans événements à caractère militaire et patriotique : « Garde du souvenir » dans les lieux de gloire militaire de l’Union soviétique et de la Russie, ouverture de plaques commémoratives en l’honneur de ceux qui sont morts pendant la guerre russo-ukrainienne, jeux « Zarnitsa ».
« Zarnitsa »
Le jeu simule des actions de combat : les participants sont répartis en 2 équipes. Le but : capturer le drapeau adverse, qui est posé sur le « socle ». Les joueurs doivent se rendre au drapeau et "tuer" les adversaires, tout le monde a des épaulettes, si elles sont arrachées, le joueur "meurt".Il existe un programme de mentorat dans « Iounarmiya », au moyen duquel les enfants pris en charge par l’État sont enrôlés de force dans le mouvement. Si les parents d’écoliers peuvent encore refuser la participation de leurs enfants à l’organisation, pour les orphelins, une telle opportunité n’existe pas du tout. D’ici fin 2024 il est prévu qu’un écolier de Crimée sur dix soit accepté dans les rangs de « Iounarmiya ».
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La militarisation de l’enseignement scolaire dans la Crimée occupée s’effectue à travers les mécanismes de « formation des cadets et des cosaques » dès la première année. Les classes de cadets sont ouvertes ou parrainées par diverses institutions : le ministère de la Défense de la Fédération de Russie, le ministère des Affaires d’urgence, la police, le Service fédéral de sécurité (FSB), le Comité d’enquête, etc. Des événements militaro-patriotiques distincts sont organisés pour les cadets. Ainsi, en mars 2023, dans Simferopol occupé, a eu lieu un événement polyvalent militaire et sportif « Élevons des patriotes », auquel ont participé des élèves sous le patronage des forces de l’ordre, ainsi que d’une « école cosaque ». Les enfants ont démontré leurs compétences à l’entraînement en formation, en marche avec des tambours, en maniement d’armes, en montage et démontage de mitrailleuses, en premiers secours, et ont également réussi des courses de relais et des tests sportifs d’endurance, de force et de vitesse. C’est-à-dire ce qui est nécessaire pour servir dans l’armée russe.
Concours "Élevons des patriotes". Simféropol, mars 2023. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
В освітніх закладах окупованого Криму регулярно проходять зустрічі школярів з учасниками російсько-української війни, зокрема під час «уроків мужності». Так, наприклад севастополець Ренат Ковалевський долучився до акції написання листів військовослужбовцям армії РФ і виступив на шкільній лінійці в школі № 43.
Dans les établissements d’enseignement de la Crimée occupée, les écoliers rencontrent régulièrement les participants à la guerre russo-ukrainienne, notamment lors de “leçons de courage”. Ainsi, par exemple, Renat Kovalevsky de Sébastopol a participé à l’action d’écrire des lettres aux militaires de l’armée russe et a pris la parole devant le rassemblement de l’école n°43.
Un participant à la guerre russo-ukrainienne tient parole devant les élèves à l'école n°43. Sébastopol, octobre 2022. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
La formation militaire obligatoire des écoliers a été introduite sur ordre de Sergueï Aksionov également sur le territoire de la péninsule à partir du 10 novembre 2022. Des centres éducatifs spéciaux devraient être créés, les enseignants devraient être formés dans cette discipline, ainsi que mener un travail militaro-patriotique régulier avec les jeunes, notamment des événements pour les Journées des conscrits, etc. De plus, on organisera pendant la période printemps-été des séances de formation pour les élèves sur la base des unités militaires, où ils suivront des cours de tir, d’entraînement tactique et physique. De tels changements se sont déjà produits à plusieurs reprises dans les camps de jeunes de Crimée et sur la base de diverses organisations patriotiques.
Formations et réunions de terrain "Percée de Iounarmiya". Village Aromatné, août 2022. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
Après l’invasion massive de la Fédération de Russie en Ukraine, les enfants de Crimée sont activement engagés pour le soutien de la guerre russo-ukrainienne, ils participent notamment à des événements pro-gouvernementaux en soutien à l’armée russe. Par exemple, dans les campagnes de collecte de l’aide humanitaire, des chants patriotiques, en flashmobs, pour écrire des “lettres à un soldat” etc.
Action "Lettre à un soldat". Sébastopol, 2023. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
La militarisation se poursuit même après qu’on termine l’école. Ainsi, par exemple, l’Université fédérale de Crimée organise un certain nombre d’événements de propagande, notamment à caractère militaire. En février 2023, un participant à la guerre contre l’Ukraine a rencontré des étudiants de l’Université d’État de Sébastopol et a noté que la soi-disant opération spéciale « avait considérablement rallié et consolidé la société [russe], en particulier la jeunesse », et a exhorté les étudiants à soutenir l’armée russe.
Université d'État de Sébastopol
L'Université technique nationale de Sébastopol a été fondée en 1963 et a existé jusqu'en 2014. Avec l’occupation de la Crimée, elle est devenue l’Université d’État de Sébastopol, aux côtés de 7 autres universités de la péninsule.L'étape régionale de concours général des cadets " Élevons des patriotes " pour les classes de cadets et de cosaques à l'Académie médicale UFK V.I. Vernadsky. Crimée, mars 2023. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
Comme vous pouvez le constater, dans la conception du gouvernement de la Fédération de Russie, l’identité russe présuppose la volonté de défendre la Fédération de Russie les armes à la main – et non seulement de rejoindre l’armée, mais d’obéir et d’exécuter les ordres, quels qu’ils soient. Cela correspond à la compréhension du « petit homme » – une image inhérente à la culture russe. Voici ce que dit la scientifique américano-polonaise Emma Thompson à propos de cette image :
— “Le petit homme” est le héros de nombreuses œuvres célèbres de la littérature russe, le personnage est complètement impuissant, incapable de rien. Mais si vous regardez l’histoire de différents pays, vous constaterez que la liberté et la volonté ont été obtenues exclusivement grâce au sacrifice de l’individu moyen, qui, au lieu de s’asseoir et de pleurer, est allé se battre pour la liberté.
Ce “petit homme”, disent-ils, ne décide de rien – mais des milliers de ces petites personnes forment une armée prête à attaquer un autre État. En outre, de telles politiques des administrations d’occupation créent la base d’un recrutement ultérieur de citoyens ukrainiens dans les forces armées de la Fédération de Russie, imposant dès le plus jeune âge l’idée de la nécessité de servir la Russie et la volonté de se sacrifier pour le bien d’un État ennemi. Le droit international humanitaire interdit à l’État occupant de forcer les habitants des territoires qu’elle occupe à lui prêter allégeance et à servir dans les forces armées, ainsi qu’à promouvoir l’entrée volontaire dans ces institutions. Ces actions pourraient potentiellement être considérées par la Cour pénale internationale comme des crimes de guerre commis par l’administration d’occupation de la Crimée depuis 2014.
Dans le contexte de la Crimée, il convient de noter que la propagande de guerre fait désormais partie de la légalisation informationnelle de l’occupation de la péninsule depuis 2014 et, depuis 2022, de l’agression armée à grande échelle contre l’Ukraine continentale. Par conséquent, la fin la plus probable qui attend les écoliers de Crimée dans le cas où la Crimée ne serait pas libérée des envahisseurs dans un avenir proche est le service dans l’armée russe, l’envoi à la guerre et à la mort, comme cela est par exemple arrivé à un jeune de 24 ans, Dmytro Kotov, qui, pendant ses études à l’école n°6 de Djankoï, était membre de l’« Iounarmiya » et est mort pendant la guerre russo-ukrainienne.
Plaque commémorative. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
Le Sud continental de l’Ukraine. Rencontre avec les “héros” et les classes de cadets
Les enfants vivant dans des territoires non contrôlés par l’Ukraine sont initiés dès leur plus jeune âge à la culture de la guerre. Comme dans d’autres régions occupées, les écoles maternelles invitent également des représentants des forces d’ordre de la Fédération de Russie et des élèves sont vêtus de camouflages russes pour participer à des cérémonies.
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Au moment de la publication de ces documents, une partie des territoires du Sud de l'Ukraine continentale, à savoir des parties de Tauride et de la région d'Azov, sont toujours occupées, et les processus de destruction de l'identité ukrainienne et de militarisation de la jeunesse ne font que prendre de l'ampleur.diaporama
En novembre 2022, à la veille de la fête nationale russe, la Journée de l’unité nationale, ont été ouvertes des succursales régionales de « Iounarmiya » dans les parties occupées des régions de Donetsk, de l’Ukraine Slobodienne et d’Azov (par exemple à Henitchesk et Melitopol). Les enfants sont activement impliqués dans les rangs de l’organisation et des consécrations pompeuses sont organisées avec la participation de propagandistes locaux.
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Bien que les membres de « Iounarmiya » soient des enfants de 8 à 18 ans, leur éducation patriotique est assurée par des adultes qui organisent des activités à caractère militaire pour leurs pupilles. Avant ça, des représentants des ministères d’occupation, en particulier, du soi-disant ministère de la politique de la jeunesse et des sports de la région de Kherson, se joignent également.
Les représentants du ministère de la jeunesse et des sports de la région de Kherson organisent des cours de formation militaire pour les jeunes soldats. Skadovsk, mars 2023. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
L’organisation de jeunesse “YugMolodoy” encourage non seulement l’étude de la structure de la Russie, de son histoire, de sa géographie, mais respecte également les “valeurs traditionnelles” de cet État. Bien entendu, l’association militarise les enfants et les jeunes. Par exemple, des militants du mouvement du village de Chernihivka ainsi que des représentants de l’administration d’occupation ont participé à l’inauguration de l’expositions de photos des “héros” de la soi-disant “opération spéciale”.
Exposition de photos des participants de "l'opération spéciale". Tchernihivka, mars 2023. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
Sur le territoire continental de la Tauride et la région d’Azov, sont également ouvertes les premières classes de cadets de la région sous le patronage des forces d’ordre de la Fédération de Russie.
La classe du soi-disant comité d'enquête de Russie dans la région de Kherson est photographiée pour exprimer sa gratitude pour le formulaire reçu de la Fondation de Sergueï Mikheev avec l'aide du « ministère de la politique de la jeunesse et des sports ». Skadovsk, juin 2023. Photo : médias de propagande de la Fédération de Russie.
Si ces territoires ukrainiens ne sont pas libérés des envahisseurs russes dans un avenir proche, les mesures de militarisation devraient être intensifiées à partir de la nouvelle année universitaire – l’un des modules obligatoires du programme éducatif russe des “Fondements de la sécurité des personnes” est précisément une formation militaire, et à Melitopol, par exemple, on envisage d’ouvrir une maison de « Iounarmiya ».
Il faut donc clairement comprendre que la Fédération de Russie fait consciemment et systématiquement tout son possible pour détruire l’identité ukrainienne des habitants des territoires occupés. L’endoctrinement et la militarisation ne sont que des outils pour atteindre cet objectif. Et malheureusement, de nombreux citoyens ukrainiens se sont tout simplement retrouvés pris en otage par la puissance occupante russe et, bien souvent, pour sauver leur vie, ils ne peuvent pas résister à ses actions criminelles. Pour cette raison, après la désoccupation de la péninsule, l’Ukraine sera confrontée à un certain nombre de défis concernant la réintégration de ses citoyens, tant au niveau étatique que sociétal. Ce n’est qu’avec les efforts conjoints de l’État et des communautés que nous pourrons surmonter les conséquences des nombreuses années de propagande empoisonnée de la Russie et ramener nos concitoyens dans leur contexte d’origine.
Les enfants ukrainiens victimes des crimes russes
Malheureusement, on ne sait pas avec certitude combien d’enfants ukrainiens sont devenus otages des autorités russes. Le soi-disant ministre de l’Éducation, des Sciences et de la Jeunesse de la République de Crimée a publié des données sur près de 230 000 écoliers restés dans la péninsule au 1er septembre 2023. Et selon les données estimées du Ministère de la réintégration de l’Ukraine, 100 000 à 120 000 enfants, dans d’autres territoires temporairement occupés (au 1er septembre 2022). Privés d’accès à la langue ukrainienne et à l’éducation, dans une situation où la seule possibilité d’acquérir au moins quelques connaissances est de fréquenter une école russe, les enfants ukrainiens sont victimes des crimes de la Russie contre l’Ukraine.
“La désoccupation cognitive c’est le travail avec l’esprit des gens. Nous comprenons que la désoccupation active se fera principalement grâce à nos forces de sécurité et de défense, grâce aux efforts politiques et diplomatiques. Et au moment de cette désoccupation active et physique, nous devons élaborer tous les plans liés aux processus de réintégration. Que se passe-t-il actuellement en Crimée et dans les autres régions occupées ? Les Russes sont en train de poser des mines dans les esprits avec leur propagande, leur politique d’information renforcée et leur militarisation. Par conséquent, la désoccupation cognitive mine en réalité la conscience de nos citoyens des territoires temporairement occupés », a expliqué Tamila Tasheva, représentante du Président de l’Ukraine en République autonome de Crimée, lors d’une des discussions consacrées à la désoccupation des territoires et les défis qui y sont liés.
L’occupation à long terme de la Crimée montre que la stratégie de la Fédération de Russie visant à s’approprier et à rééduquer les enfants ukrainiens se transformera en de nombreux défis après la désoccupation de la Crimée et d’autres territoires du sud-est. Puisqu’on apprend depuis des années aux enfants à considérer l’Ukraine comme un État ennemi contre lequel ils doivent se défendre les armes à la main, il est donc important d’agir maintenant — d’élaborer des stratégies réelles et efficaces pour la réintégration des enfants et des jeunes, la résolution d’éventuels conflits et, surtout — pour surmonter les conséquences des politiques destructrices de la Fédération de Russie concernant la destruction de l’identité ukrainienne. L’essentiel est de ne pas succomber aux récits de la propagande russe, qui affirme que pour l’Ukraine, ces enfants constituent une « génération perdue ». Parce que nous pouvons les perdre au moment même où nous nous isolons d’eux, stigmatisons socialement ou ignorons non seulement leurs besoins, mais aussi leur existence même. C’est ce qu’espère la Russie et nous, en tant que monde démocratique, n’avons pas le droit de perdre cette bataille.