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« Entendez la voix de Marioupol » est une série d’histoires de gens qui ont réussi à quitter la ville en siège. Nous commençons ce projet par l’extrait de la conversation téléphonique avec Masha, une habitante locale qui a été évacuée avec sa famille le 16 mars 2022.

Masha a habité Marioupol toute sa vie. Ses fenêtres donnaient sur la maternité endommagée le 9 mars par les attaques aériennes des occupants russes. Masha et son mari Slava ont trois fils et un chien. Pendant le siège de Marioupol, sa famille et les autres 40 habitants de l’immeuble passaient la plupart de leur temps dans un abri en se cachant des bombardements. En ce temps-là, il n’y avait ni l’électricité, ni le gaz dans la ville. Il manquait aussi la nourriture et l’eau potable. Le 16 mars ils ont réussi à quitter la ville dans la voiture de leurs voisins. Ils ont pris la direction de Yalta, qui se trouve à 33 km de Marioupol.

« D’abord on nous a coupé l’eau, puis l’électricité et le gaz. Le premier jour sans gaz les gens gardaient leur enthousiasme. Tout le monde est venu dehors pour rôtir des pommes de terre. Cela ressemblait aux fêtes de mai. Il n’y avait pas d’inquiétude parce qu’il n’y avait pas encore de bombardements.

Notre cour n’est pas très grande. Il y a quatre entrées d’immeuble – tout le monde se connaît. Certaines personnes vivaient déjà dans le sous-sol, certaines vivaient au rez-de-chaussée, certaines ont déménagé pour vivre avec les proches. Chacun était présenté à tout le monde, mais franchement nous n’avions pas de temps pour garder les prénoms en mémoire.

Nous habitions le quatrième étage. J’avais peur d’y rester avec mes enfants alors nous avons décidé de vivre dans l’appartement de notre voisine au premier étage. À partir d’une heure de nuit, nous allions souvent dans l’abri. Mon mari Slava y a installé l’électricité et de l’eau. Les voisins ont apporté un matelas. Et au fur et à mesure nous avons commencé d’y apporter les choses différentes. Quand la maternité a été bombardée, nous avons apporté deux matelas d’enfant dans l’abri et nous y sommes restés chaque nuit.

Tout le monde avait des lampes de poche et des bougies. Chacun essayait de se distraire d’une façon ou d’une autre. Nous jouions aux cartes et aux dames, nous lisions les livres avec les enfants. J’ai apporté le livre « Harry Potter » et nous le lisions avec la lampe de poche. Nous nous soutenions. Il y avait environ 40 personnes dans l’abri.

Chaque notre jour commençait par la préparation de la nourriture. Les hommes sortaient à sept heures du matin pour faire du feu près de l’entrée de l’immeuble. Nous apportions les grilles du four, ainsi que les poêles et les marmites. Tout est noir. Nous cuisinions au feu de bois. Nous avions de l’eau grâce au fournisseur d’eau. Au début, le fournisseur distribuait de l’eau sur le territoire de la société. Nous cherchions du bois partout où c’était possible. Il y avait le chantier près de notre maison. Le bâtiment du conseil municipal a brûlé et l’on a commencé à le reconstruire avec une intention de le mettre en exploitation en septembre. Il y restait beaucoup de palettes différentes. Les gens apportaient les vieux meubles, cassaient des branches d’arbres.

Quand le pillage a commencé, les gens ont cambriolé le magasin « Vanushkini sladossti » (« La confiserie de Vanya ») se trouvant près de notre maison. Ils ont pris tous les biscuits. Nous aussi, nous mangions ces biscuits. Slava était dans la pharmacie. Les gens l’ont pillée aussi. Tout ce qu’il a pris c’était les vitamines. Nous les mangions parce qu’il n’y avait rien de plus.

Le jour de l’attaque aérienne sur l’hôpital, nous étions dans la cuisine. Notre voisine Vika a apporté la bouilloire de dehors et nous avons décidé de boire du thé. Pendant l’attaque je suis restée debout dans la cuisine. Yaryk et le cadet Vladyk (les enfants de Masha — éd.) étaient assis avec Vika sur le canapé. Je n’ai vu qu’un éclat avec ma vue périphérique. J’ai réussi à crier « Au sol ! », mais personne n’a eu le temps. L’onde de choc nous a fait tomber à terre.

Le verre est tombé dehors parce que nous avons bien sécurisé les fenêtres à l’aide d’un ruban adhésif. Voilà pourquoi il n’y avait pas de débris. Nous sommes tombés par terre : mon fils de neuf mois, Yaryk d’en haut, ensuite ma voisine et moi. Une attaque aérienne ne m’est pas même venue à la pensée. J’étais sûre que c’étaient les « Grad » pas loin de nous. J’ai décidé de courir dans l’abri de l’appartement — une chambrette près du mur porteur.

Les enfants savaient ce qu’il fallait faire. J’avais commencé à leur enseigner les choses quand il est devenu clair que les forces armées se sont approchées de la frontière. D’après mon expérience en 2014, je savais quoi faire : se laisser tomber, protéger sa tête avec ses mains et ouvrir la bouche pour éviter la commotion. Les enfants le savent aussi — ils tombent tout de suite et se couvrent la tête avec leurs mains.

Zhenya fut le premier à atteindre la chambrette depuis une autre chambre. Yaryk était le suivant. J’ai pris le cadet dans mes mains, mais mon erreur était de devenir debout. Quand il y eut la deuxième « arrivée », l’onde de choc m’a jetée sur le mur. J’ai eu les mains écorchées, l’enfant s’est heurté la tête, mais assez légèrement parce que le mur était en plâtre cartonné. C’est plutôt ma main qui fut touchée. Ayant les jambes comme du coton, j’ai couru à la chambrette et là j’ai couvert les enfants avec mon corps. Je restais allongée comme ça pendant vingt minutes jusqu’à ce que tout soit redevenu calme.

Les « arrivées » des bombardements vinrent à tour de rôle avec un petit intervalle. S’il s’agissait de « Grad », le son ressemble au poids qui tombe — pam-pam-pam-pam-pam. C’est-à-dire, il y avait l’intervalle quelconque. S’il s’agissait d’une attaque aérienne, on entendait le sifflement. Mais cette fois-là, il n’y avait pas de sifflement.

Puisqu’il n’y avait plus de fenêtres dans l’appartement de ma voisine, la température y est devenue aussi basse que dehors. Alors nous vivions dans le sous-sol. La température dans le sous-sol était entre 9 °C et 12 °C. Le maximum — 12,9 °C parce qu’il y avait beaucoup de monde, on respirait et l’on fermait la porte (celle entre les abris) pendant la nuit. Nous portions des vêtements chauds et posions des bouteilles avec de l’eau chaude sur les matelas pour nous chauffer.

Nous dormions entre les bombardements. Dès que j’avais la possibilité de dormir, je me couchais tout de suite. C’était très important pour moi de dormir parce que je donnais le sein à mon fils cadet. La quantité du lait s’agrandissait pendant le sommeil. Je m’amusais et essayais de me calmer comme je pouvais. Quand on tirait tout près, la peur était énorme.

Ces jours-là, seulement les pensées vers mes enfants me tenaient forte. Je réfléchissais comment poursuivre notre vie future d’une manière qu’ils ne soient plus dans une situation pareille. Pendant quelque période je me blâmais d’avoir eu peur de partir le 24 février (le début de la guerre à grande échelle lancée par la Russie — la remarque de la traductrice) au moins à Dnipro. J’avais eu la possibilité de partir. Mais comme toutes mes connaissances, je ne croyais pas qu’il y aurait un massacre pareil ici. Personne ne pouvait même l’imaginer. Je pensais que les évènements se seraient déroulés comme dans l’année 2014. Je pensais que ce n’était qu’une question de quelques jours. Et qu’il y aurait des accords quelconques à respecter, et que le conflit militaire se finirait d’une manière ou d’une autre. Mais là, c’est déjà le génocide à grande échelle. Je ne peux pas autrement nommer tout ce qui se passe.

Nous avons quitté la ville après une nuit très éclatante. Tout tremblait. Il semblait qu’on attaquait toutes les deux minutes. Une heure de silence, puis une nouvelle fusillade. Deux heures de silence et la même chose de nouveau. On ne savait pas ce qui allait venir, on continuait de dormir. Les murs tremblaient, la poussière tombait sur la tête. Les enfants étaient tous sales. À 10 heures du matin, nous nous sommes serrés dans la voiture d’un voisin : neuf personnes, un chien et une chatte. Environ une heure en route. Personne n’a tiré sur nous. La rue où nous habitions était barrée par les militaires ukrainiens. Il y avait un poste de contrôle des militaires ukrainiens à l’entrée du village Mangouche qui se trouve à 20 km de Marioupol. Par leurs fusils d’assaut et leurs gestes, ils nous ont indiqué de poursuivre notre route.

Les enfants posaient beaucoup de questions : « Maman, pourquoi c’est comme ça ? Pourquoi tirent-t-ils ? Qu’est-ce qu’ils n’ont pas arrivé à partager entre eux ? Quand tout ça terminera ?… ». J’avoue que je n’avais pas de réponses à beaucoup de ces questions.

M’allongeant dans l’abri, j’imaginais à maintes reprises rentrer chez moi. Je pensais à mes sentiments : l’impuissance, l’envie de pleurer, l’observation de côté. Je ne sais pas combien de temps il faudra pour tout renouveler. Ni une année, ni deux années. C’est difficile de prévoir quelque chose. Mais il y a les enfants. Les enfants et moi c’est la priorité essentielle.
J’avais peur d’aller à Zaporijjia après avoir entendu qu’on a attaqué une colonne avec les « Grad ». Mais si l’on n’essayait pas, on ne saurait jamais. S’il y avait au moins une chance de partir, il fallait la tenter. Parce que des choses ne sont que des choses. L’appartement est juste un appartement. La vie est unique. Et c’est à nous de choisir comment la vivre ».

Au moment de l’enregistrement de cette conversation, Masha et Slava étaient en train de chercher un transport pour aller à Zaporijjia. Enfin ils ont réussi à le trouver. Après une courte pause, ils se sont rendus en route de nouveau. À présent, Masha et sa famille se rendent à l’ouest de l’Ukraine.

Le dossier est préparé par

Fondateur d'Ukraїner:

Bogdan Logvynenko

Autrice du texte:

Ksenia Chikunova

Autrice du texte,

Ingénieur du son:

Katia Polivtchak

Intervieweuse,

Rédactrice du texte:

Khrystyna Kulakovska

Correcteur d'épreuves:

Olga Chtcherbak

Designer graphique:

Mariana Mykytiuk

Transcripteuse audio:

Anastasija Goulko

Traductrice:

Ania Yablutchna

Gestionnaire de contenu:

Yana Rusina

Traductrice:

Anastasiia Bondarenko

Rédacteur de traduction:

Emmanuel Graff

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