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L’immense territoire au bord du fleuve Tourounchouk dans le village de Troizke appartenait, pendant la période soviétique, au kolkhoze. Plus tard, ce terrain fut abandonné avec, comme héritage, une grande décharge à côté. Il y avait aussi un projet d’ouverture d’une carrière à sable. Mais ce projet n’a pas vu le jour. Pavlo Toulba, un agriculteur et entrepreneur a finalement acheté le terrain en sauvant les bords du fleuve. Pour planter son énorme jardin, unique en Ukraine, il a fallu évacuer 300 camions de déchets. Maintenant, Pavlo fait pousser ici ses noyers, noisetiers et églantiers. Son projet c’est de ne pas exporter sa production mais de la transformer sur place : le premier atelier de transformation des noisettes et de pâte à tartiner est déjà ouvert.

Avant 2012, cet endroit ressemblait à un désert : les ruines brûlées des entrepôts à la place du jardin, des mauvaises herbes, des déchets sauvages. Mais ce lieu, abandonné et, au premier regard, sans avenir, avait un atout énorme – sa magnifique vue depuis la colline. C’est ce paysage qui a poussé l‘actuel propriétaire du verger à racheter le terrain et à planter les noyers avec les noisetiers et les églantiers. L’objectif étant d’avoir, dans quelques années, non seulement une bonne cueillette des noix mais aussi ouvrir sa propre chaîne de production.

Comment les « fous de la ville» ont fondé le jardin

Pavlo Toulba est né et a grandi en Moldavie. Venu à Odessa pour ses études supérieures, il a obtenu le diplôme d’ingénieur en agronomie et est resté en Ukraine. De naissance, il est de nationalité gagaouze (plus de détails : Гагаузи України. Хто вони? Les gagaouzes d’Ukraine. Qui sont-il ?) mais après avoir vécu plusieurs années en Ukraine, il se sent ukrainien dans l’âme.

Pavlo Toulba a travaillé pendant 10 ans dans l’exportation de noix avec des pays différents, notamment la Chine. Il a aussi travaillé comme négociateur pour des compagnies agroalimentaires arabes ; il vendait des petits pois, de l’avoine, des pois chiches. Il se souvient d’un certain moment où il a décidé de quitter le domaine de l’exportation de noix à cause des nombreux problèmes dont souffre cette branche en Ukraine et d’une législation insuffisante en la matière.

— Au début on achetait les noix chez les habitants : après le nettoyage, le calibrage et le conditionnement on exportait tout à l’étranger. Pendant un certain temps, c’était intéressant. Ensuite la Chine a conquis le marché. En plus, en Ukraine, il y avait beaucoup de problèmes liés à la corruption.

Maintenant Pavlo Toulba est le propriétaire du jardin et le chef de la coopérative « Noix de Terres de la Mer Noire (Prychornomorya) ». Ayant décidé en 2012 d’ouvrir son entreprise, Pavlo a commencé de chercher un grand terrain disponible malgré l’interdiction de la vente de terrains agricoles. Finalement, il a trouvé un grand terrain, sur lequel il pouvait fonder son verger.

— Je n’ai jamais été ici avant l’achat du terrain. J’ai juste appris qu’il y avait un terrain en vente. Et qu’il y avait un projet d’ouverture d’une carrière à sable. Je suis venu pour le visiter et j’ai aimé la vue. Et j’ai décidé : il n’y aura pas de carrière ici. Mais un verger.

Pavlo explique comment il a réussi d’acheter le terrain malgré les interdictions.

— Ce terrain n’intéressait personne à part nous. Il était l’un des pires, alors on le donnait aux enseignants ou aux soignants mais uniquement pour créer leurs propres potagers. Ce terrain était en vente légale et nous avons commencé d’acheter les parts. En 2013, nous avons fondé le jardin, d’abord les noisetiers, ensuite les églantiers.

A l’époque soviétique à Troizke il y avait une ferme. Ensuite, après la chute de l’URSS, le kolgosp a fait faillite et les terrains ont été partagés. La ferme a fait banqueroute. Mais quelques bâtiments de l’ancienne ferme ont été sauvés.

— Parfois les gens à la campagne acceptent difficilement les nouveautés. Nous faisons pousser les cultures qui ne sont pas « traditionnelles » pour les agriculteurs d’ici. Mais cette situation a ses avantages : on a eu très peu de vols car pour les habitants d’ici nous sommes des « fous » de la ville.

C’est dans cette vielle ferme que Pavlo a commencé de construire sa coopérative. Au début, les habitants du coin se doutaient de Pavlo, ne comprenaient pas ses motivations et parfois ne voulaient pas lui céder les terrains.

Ces terres au bord de Tourounchuk, achetées par Pavlo, ne conviennent pas à l’agriculture traditionnelle. Mais pour les noisetiers, ces collines sont parfaites. Les arbres se pollinisent par le vent et en plus, et c’est important, de tous les cotés.

Verger mixte : minimiser les risques

Selon Pavlo Toulba, la coopérative « Noix de Terres de la Mer Noire (Prychornomorya) » est la première en Ukraine à essayer de cultiver un grand verger mixte avec des cultures différentes. Les propriétaires ont défini leur propre schéma de plantation des noix avec des noisettes selon lequel ils peuvent coexister. Ce schéma d’un verger mixte peut être intéressant de point de vue économique car il permet de minimiser les pertes si l’année est difficile pour l’une des cultures.

Les propriétaires de la coopérative utilisent deux méthodes de plantation d’arbres : les noyers avec les noix tiers et les noyers avec les églantiers. En projet – la plantation de 100 hectares d’églantiers de plus et un verger réservé aux noisetiers. Ils sont les seuls et les premiers en Ukraine à cultiver des noisettes à l’échelle industrielle. A l’époque soviétique, cette culture était difficile à faire pousser à cause de son non-résistance au froid. Maintenant, la coopérative utilise les variétés européennes. En revanche, l’églantier est beaucoup moins exigeant comme arbre. Il est plus facile à faire pousser est très attirant grâce à ses propriétés bénéfiques pour la santé.

Une autre invention du genre « nous somme les premiers en Ukraine à faire cela » — production de truffes au pied de noisetiers. Comme l’explique Pavlo Toulba, la truffe de la variété « borchii » pousse au pied de noyers et son prix est aux alentours de 30 euros au kilo. La truffe noire qui pousse aux pieds de noisetier coûte presque deux milles (2000) euros au kilo.

— Pour l’instant nous nous occupons de la mycorhization et du sol. Après la mycorhization des racines, il faut y greffer les truffes et on obtient la truffe sur la racine. En plus, notre technologie prévoit une technique pour la récolte de truffes. La truffe est toxique pour les insectes mais en même temps, son odeur les attire. Et il est facile de la récolter de cette façon : les mouches ne volent pas dans un verger de noisetiers sans raison. Alors, ils nous indiquent les truffes. Nous n’avons pas besoin de chiens, ni de cochons truffiers.

La sélection ukrainienne et le « racisme au noix »

Pavlo Toulba croit que la production de noix est une activité avec beaucoup de potentiel pour l’Ukraine. A son avis, ici, il y a tout ce qu’il faut pour développer cette culture à l’échelle industrielle.

— Si historiquement la noix peut pousser uniquement sur 7 % des territoires du monde, l’Ukraine possède le plus de terres disponibles et adaptées pour cette culture. C’est un potentiel énorme et qui n’est pas du tout exploité.

Pavlo dit que le plus grande difficulté de la noix est sa non-résistance au froid. La température qui descend en dessous de -25 degrés est dangereuse même pour un arbre adulte. En revanche, les variétés ukrainiennes sont plus résistantes à la basse température.

— Dans les réserves en Bucovine et en Prydnistrovie ont été cultivées les variétés ukrainiennes de noix. A l’époque soviétique, ces variétés ont été testées. Pour voir le résultat, il faut planter l’arbre, attendre la cueillette et réaliser une analyse complexe. Ce qui donne 10 ans d’attente de la première cueillette et ensuite 30 ans de surveillance et d’analyses. En tout 40-50 ans d’observation. C’est une longue période pendant laquelle les variétés ukrainiennes ont été créées et aujourd’hui elles sont « oubliées ».

En ce moment, la coopérative développe activement les variétés ukrainiennes de noix.

— Nous pensons qu’en Ukraine il faut développer et cultiver nos variétés : c’est plus raisonnable et logique du point de vue scientifique et il y a moins de risques.

Pavlo Toulba raconte que pour la production de la pâte à tartiner, ils font pousser une variété dont la durée de vie est plus longue et qui donne plus de fruits. Ses qualités gustatives sont les mêmes mais l’apparence de cette noix est différente. Et en Ukraine on est habitué de regarder la couleur du fruit pour définir sa qualité.

— Plus la couleur de la noix est claire, meilleure elle est. Si la couleur est plus foncée – son prix baisse. C’est une question d’habitude et de culture de consommation. Car le goût de ces noix est absolument identique.

« Noix de Terres de la Mer Noire (Prychornomorya) » fait pousser aussi les semis. Pavlo précise que c’est un travail assez compliqué mais indispensable.

— Sans la production de semis, nous ne pouvons pas avancer. Mais ce travail demande des installations et des conditions particulières : les serres, le brouillard, les ateliers … Et les gens qui vont surveiller les semis. Tout cela demande beaucoup de temps et d’énergie. Et le financement.

Pour l’instant, la coopérative utilise les semis pour ses propres besoins, dans le but d’agrandir le verger. Les particuliers peuvent acheter les jeunes arbres. Mais souvent les gens veulent participer au projet et investir dans la coopérative pour réaliser les projets en commun.

Nouveau modèle de coopération

Pavlo avec son équipe ont développé un nouveau modèle de coopération pour élargir l’activité. A ce stade, ils travaillent avec une dizaine de partenaires qui ont cru à l’idée en investissant l’argent et ils ont eu déjà les premiers résultats. Dès le début, Pavlo a rejeté le modèle « classique » de la coopérative à cause de sa fragilité et des conflits potentiels. Surtout quand il faut tenir compte de la mentalité particulière : chacun veut diriger mais personne ne veut travailler.

— Nous avons choisi une autre voie : après l’acquisition des terrains, nous avons proposé un modèle d’investissement. Nous vendons une part de terrain pour planter le même verger comme le notre et nous le cultivons pendant les 4 premières années, jusqu’à la première cueillette. Et ensuite nos partenaires sont libres à choisir : soit de continuer la collaboration soit de travailler indépendamment.

Dans ce modèle, l’entreprise voit la source de développement. Même sans une campagne publicitaire, raconte Pavlo, cette idée a beaucoup de demandes. Mais, à cause du manque de terrains libres, elle est difficile à développer en ce moment. Pavlo Toulba pense que l’ouverture du marché des terres en Ukraine aurait aidé le développement de projets d’investissement.

— Quand les gens veulent investir dans les projets tels que le notre, cette activité doit être attirante et avoir du potentiel. Ou alors il faut des fonds nécessaires pour créer les possibilités de développement et de croissance. Dans ces conditions, ce modèle de collaboration a le droit d’exister.

— Les gens veulent investir et il faut leur donner cette possibilité en rendant cette activité transparente, claire et attirante.

Les « M&M’s » ukrainiens

La coopérative a décidé de développer non seulement la plantation comme activité principale mais d’ouvrir sa propre chaîne de production. L’entreprise a acheté une vieille usine de conserve abandonnée depuis 10 ans. Ici, on répare et on fabrique les nouveaux équipements pour préparer les noix, les noisettes et les églantiers. Dans l’usine il y a des ateliers de nettoyage et de séchage ; dans les projets – la production de la pâte à tartiner faite avec les noix et le miel.

Dans cette usine on prépare aussi, en utilisant une technologie unique, les noix surgelés et séchés. Ce produit sera en vente non seulement en Ukraine mais aussi sur le marché international. Un autre projet – obtenir l’appellation « Noix de Terres de la Mer Noire (Prychornomorya) » et commencer à développer le tourisme dans la région.

— Nous ne voudrions pas vendre de la matière première. On va produire des snacks avec les noix et nous aimerions introduire un autre produit – la noix « marinée » dans le jus de fruits en utilisant les baies cueillis dans les Carpates. Notre idée est de presser un jus très concentré et ensuite faire tremper la noix dans ce jus. Ça sera… de toutes les couleurs et avec des goûts différents — comme «M&M’s ». Mes enfants l’adorent et j’aimerais inventer pour eux un équivalent naturel.

Pavlo Toulba pense qu’en Ukraine actuellement il y a un manque de connaissances dans ce domaine. Alors qu’il est possible de préparer les cadres dans plusieurs établissements d’enseignement supérieur. Sans cette base théorique, la coopérative gagne son expérience en travaillant directement sur le terrain, en faisant des essais. Et les propriétaires sont prêts de partager leur expérience et leurs connaissances avec d’autres agriculteurs et des jeunes spécialistes.

— Nous n’avons pas de secrets. Au contraire – nous sommes prêts à partager, à expliquer et à montrer. Et nous organisons des visites pour les étudiants en agronomie. Notre but c’est le développement du domaine. Je ne peux pas planter 10 milles hectares de verger, mais mille personnes peuvent le faire. Alors nous faisons tout pour populariser cette activité.

Ce verger, Pavlo pourra le laisser en héritage à ses trois fils car la durée de vie d’un noyer peut aller au-delà de 100 ans.

— Nous avons une activité « éternelle ». En plus, il n’existe pas beaucoup d’endroits dans le monde adaptés pour cette culture. Et c’est intéressant. C’est une des raisons principales de notre engagement dans ce domaine. Nous voudrions créer quelque chose de solide et de pouvoir concevoir nous même un produit.

Le dossier est préparé par

L'auteur du Ukraїner:

Bogdan Logvynenko

Auteure:

Ania Semeniuk

Rédactrice:

Natalia Petrynska

Productrice:

Olha Schor

Photographe:

Pavlo Pachko

Yurij Stefaniak

Opérateur caméra:

Pavlo Pachko

Oleg Martchuk

Monteuse:

Yulia Rublevska

Réalisateur:

Mykola Nosok

Éditeur photo:

Oleksandr Khomenko

Transcripteuse audio:

Galyna Reznikova

Responsable de contenu:

Kateryna Yuzefyk

Traductrice:

Irina Podyryako

Éditeur de traduction:

Mohamed Bedoui

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