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Une usine abandonnée de matériaux isolants, qui, il y a dix ans, avait été transformée en un espace d’art géant dénommé Izolatsia dans la partie industrielle de Donetsk, a été converti en prison et en chambre de torture par des militants venant de la Russie. Les créateurs de l’Izolatsia ont dû partir à Kyiv pour revitaliser un autre site industriel, qui s’est ensuite établi sur la carte de Kyiv sous le nom IZONE. Comment ce centre culturel fonctionne-t-il ? Ses fondateurs, envisagent-ils de revenir à Donetsk après la désoccupation ?

La fondation caritative internationale « Izolatsia. La plateforme d’initiatives culturelles » a été créée en 2010 à Donetsk afin de développer le secteur culturel et créatif en Ukraine. Depuis dix ans déjà, les responsables culturels et les artistes soutiennent le fonctionnement de cette plateforme pour réaliser de divers projets culturels à Kyiv en particulier et en Ukraine en général.

L’espace où la Fondation Izolatsia avait initié ses activités il y a dix ans est devenu ces jours-ci une chambre de torture et une prison des terroristes embauché par la Fédération de Russie. Son équipe a déménagé dans la capitale et s’est également installée dans une zone industrielle similaire à celle d’où ils ont été forcés de partir en raison de la guerre russo-ukrainienne.

La Fondation Izolatsia. Donetsk

Au printemps 1955, une usine de production de laine minérale a été construite à la périphérie de la ville de Stalino (l’ancient nom de Donetsk).

Le secteur d’énergie thermique, le complexe militaro-industriel, les secteurs d’aviation, de construction navale et spatiale étaient approvisionnés par les produits de cette usine jusqu’à la crise qui a commencé après l’effondrement de l’URSS. C’est là que l’usine s’est retrouvée sans commandes des anciennes républiques d’URSS, sans soutien d’infrastructures et de financement d’État. Elle a fait faillite et a dû fermer en 2005.

La Fondation Izolatsia a été créée en 2010. La fille du dernier directeur soviétique de l’usine, Lyubov Mikhaïlova, a investi dans le projet qui, d’après son plan, devait changer le paysage culturel et éducatif de Donetsk et de toute l’Ukraine.

Lorsque des initiatives culturelles occupaient des zones industrielles abandonnées et s’installaient dans les locaux d’anciennes usines ou mines dans les pays européens, personne n’y pensait encore en Ukraine. Lyubov a lancé un appel au conseil municipal en suggérant de rénover l’espace de l’ancienne usine, mais le conseil n’a pas accordé son soutien à l’initiative. Alors, Lyubov a privatisé l’usine, investi ses moyens dans la Fondation Izolatsia et invité d’autres entrepreneurs à la rejoindre.

L’Izolatsia avait pour principe de ne pas attirer de fonds des organisations associées à la soi-disant mafia de Donetsk ou aux cercles oligarchiques. En revanche, elle coopérait avec des entreprises qui travaillaient avec l’UE, la Grande-Bretagne et les États-Unis, et des organisations dont les valeurs coïncidaient avec les siennes.

C’est ainsi que la culture, la créativité et l’art sont apparus sur le territoire de l’ancienne usine de matériaux isolants. D’où le nom de la fondation : « Izolatsia ».

Donetsk. Photo des archives de la Fondation Izolatsia.

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Donetsk. Photo des archives de la Fondation Izolatsia.

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La première exposition a eu donc un nom qui ne paraissait pas inattendu « IZOLYATSIA 2.0 ». En bref, « le redémarrage ». Dirigés par Adam Nankervis, cinq peintres ukrainiens (David Chichkan, Yuriy Pikul, Hamlet Zinkivsky, Volodymyr Kuznetsov, APL315) ont travaillé sur le sujet de la transformation et de l’interaction de l’espace usine avec l’espace urbain.

Mykhaïlo Gloubokyi, directeur du développement de la Fondation Izolatsia, dit que c’était le premier projet d’art de ce genre à Donetsk.

— À cette époque, Donetsk n’avait pas d’ambiance culturelle à l’exception du Musée d’art d’État et du Musée ethnographique d’État, du théâtre dramatique et de l’opéra. En plus, tout ça, c’était officiel. Bien entendu, il n’y avait aucune culture indépendante (alternative. — réd.).

Il n’y avait pas de compétition dans l’Est de l’Ukraine ni de lieu alternatif pour ce genre d’événements. L’équipe de la Fondation a donc décidé de s’étendre à l’usine entière afin d’avoir plus d’opportunités pour des expositions et des projections de films. La demande de produits culturels créés dans l’Izolatsia s’est avérée énorme.

Photo des archives de la Fondation Izolatsia.

Par exemple, le projet de la communauté d’artistes de Donetsk géré par le peintre chinois Cai Guo-Qiang, intitulé « 1040 mètres sous la terre ». Aujourd’hui, Cai Guo Qiang est un artiste bien connu qui travaille à New York. Mais il est né et a grandi en Chine, donc le thème minier, que l’Izolatsia lui a proposé de présenter dans le cadre de ce projet commun, était cher au peintre. À Donetsk, Cai Guo Qiang a réalisé d’immenses portraits de mineurs peints avec du feu : le peintre plaçait de la poudre à canon sur les contours des portraits et y mettait le feu.

Le projet a donné lieu à deux expositions : des portraits de mineurs et une installation mobile de caravanes, représentant la vie des mineurs.

Mykhaïlo est sûr que si l’Izolatsia avait fait appel à des artistes pour qu’ils aient apporté des expositions toutes faites, il n’y aurait pas eu autant d’engagement public.

— Les gens sont venus, ils ont ensuite amené leurs familles. Les enfants étaient accompagnés de mineurs, dont les portraits avaient été peints, ils voulaient se regarder, il y avait beaucoup de monde. L’institution est immédiatement devenue un lieu où tout le monde a compris qu’il s’agissait de nous, de nos problèmes, de ce qui se passait autour.

Cette approche est devenue la base pour l’Izolatsia.

Фото з архіву фонду «Ізоляція».

L’envahissement

Le 7 avril 2014, des militants ont envahi l’Administration régionale de Donetsk. Des séparatistes armés sont apparus dans la ville et ont commencé à imposer leurs règles, en les appliquant tout de suite. La Fondation Izolatsia a continué son fonctionnement sans changements. L’équipe se rendait compte que la culture et l’art étaient particulièrement nécessaires lors d’une période d’instabilité et de fragilité. C’est alors que le festival « 10 ans de cinéma espagnol » a eu lieu.

— On projetait des films. Les gens venaient, en particulier, il y a eu des femmes âgées, qui n’y étaient pas venues auparavant. À la fin, ils s’approchaient de moi en me remerciant, « Là, dans la ville, mais qu’est-ce qui se passe ! Des gens armés… on ne comprend rien. Mais là, on peut venir chez vous, ici c’est calme, on se sent sûr et on peut voir un bon film. » Nous avons donc essayé de continuer nos activités pour aider les gens, pour qu’ils viennent et puissent avoir un endroit sûr où ils pourraient éviter la pression qui dominait déjà le centre-ville.

Les partisans du séparatisme ont alors déclaré que, « il faut faire entendre la voix du Donbass » et se séparer de l’Ukraine. En revanche, l’équipe d’Izolatsia a décidé de faire entendre une autre voix. Elle a organisé un grand festival de littérature ukrainienne. Pendant une semaine, des écrivains, poètes et artistes ukrainiens venaient à Donetsk pour exprimer leur point de vue sur la culture et le statut d’État.

L’usine abandonnée est devenue un espace ouvert des discussions qui n’étaient pas seulement sur la culture et l’art. Le dialogue entre les participants au festival de différentes parties de l’Ukraine semblait reproduire ce qui se passait dans le pays au cours des six premiers mois de la guerre russo-ukrainienne.

Photo des archives de la Fondation Izolatsia.

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Les artistes avaient besoin d’un espace pour leurs réflexions sur les combats dans le Donbass, et le public fréquentait les expositions avec plaisir, pour pouvoir participer à un dialogue approfondi. Marina Samokhina, membre de l’équipe, raconte :

— Je suis certaine qu’avant la guerre l’Izolatsia à Donetsk était un phénomène inhabituel, atypique pour Donetsk, une organisation insolite où les relations s’établissaient sur des fondements particuliers et des idées de réalisation de chaque personne s’ épanouissaient. À Donetsk, l’Izolatsia présentait un point de vue alternatif pour les gens ordinaires qui étaient capable de le ressentir.

Le 9 juin 2014, des hommes armés sont venus sur le territoire de l’Izolatsia en déclarant que désormais l’usine leur appartenait à eux et qu’elle serait utilisée pour stocker l’aide humanitaire venant de la Russie. La plupart des membres de l’équipe se trouvaient alors à l’extérieur de Donetsk. Ayant appris que les militants avaient pris le contrôle de l’espace, ils ne sont plus rentrés chez eux.

Depuis, tous les locaux où se trouvait la Fondation ont été transformés en prison et en chambre de torture, ainsi qu’en dépôts de munitions. Le bâtiment, qui était le bureau principal de l’Izolatsia et un espace d’expositions, est maintenant utilisé comme caserne de militants et lieu de stockage des armes. Mikhaïlo Glouboky nous explique :

— Il y a aussi un grand bunker souterrain sous cet édifice. Parce qu’en Union soviétique, toutes les usines ont été construites de manière à pouvoir fonctionner même pendant une guerre nucléaire. Ces sous-sols sont également utilisés, malheureusement, comme locaux où des personnes sont désormais détenues illégalement.

Le déménagement

Une nouvelle étape a commencé pour la Fondation Izolatsia. Incapable de rentrer en raison de la guerre russo-ukrainienne et de l’espace occupé de l’usine, l’équipe est restée à Kyiv en se rendant compte qu’il était nécessaire de continuer l’activité initiée à Donetsk, c’est à dire développer la culture de l’Ukraine. Après tout, c’est la culture qui aide à rester à flot dans les moments difficiles.

Des organisations basées à Kyiv, y compris l’espace coworking Tchasopis et Closer Art Club, ont fourni leurs espaces pour des projets d’Izolatsia, et son premier bureau dans la capitale était à l’espace d’expositions VDNH. L’équipe a continué à travailler principalement avec le public de Donetsk, qui avait déménagé à Kyiv après la guerre.

La plupart des projets d’Izolatsia étaient consacrés à ce qui se passait à Donetsk et Louhansk pendant l’occupation. Personne ne savait et ne sait jusque là comment la vie a changé là-bas après le début de la guerre russo-ukrainienne, d’après quelles règles vivent les gens, comment ils sont limités ou encouragés. La voix des projets de l’Izolatsia se faisait entendre à travers le prisme de sa propre histoire et les histoires des membres de l’équipe et de leurs familles. Mykhaïlo se souvient :

— Il y en a beaucoup de ceux qui nous demandent comment nous avons réagi, comment nous avons pu travailler dans une telle situation. En fait, nous avons commencé à faire beaucoup de choses tout de suite, et cela a probablement aidé la plupart d’entre nous à rester sains d’esprit. On devait travailler, donc on n’avait pas le temps de réfléchir à ce qui se passait.

Mykhaïlo Gloubokyi, responsable du développement de l'Izolatsia.

À l’hiver 2014, l’Izolatsia a participé au programme ALERTE du Musée d’art français Le Palais de Tokyo à Paris, qui mène un dialogue avec des artistes et des institutions dont les pays sont en guerre. Au lieu de parler de la situation en Ukraine, l’équipe a décidé de montrer au public des interviews de ceux qui ont saisi l’usine de matériaux isolants et de ceux qui étaient là en captivité. Même la Croix-Rouge internationale n’a pas accès aux personnes en captivité, mais la chaîne de télévision russe Dojd a pu l’obtenir.

En 2015, à la Biennale de Venise, l’équipe d’Izolatsia a organisé une campagne #Onvacation. Les visiteurs pouvaient porter un uniforme militaire avec l’inscription #Onvacation au dos et se rendre au pavillon du pays qu’ils considéraient comme le pays agresseur. Cet événement interactif a permis de raconter l’histoire de la guerre russo-ukrainienne. En particulier, il s’agissait des militaires russes occupant Donetsk et Louhansk qui avaient déclaré qu’ils étaient venus en Ukraine de leur propre gré, en vacances, et non sur les ordres du commandement russe.

Photo des archives de la Fondation Izolatsia.

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L’exposition « Du Pays de Galles à l’Ukraine. L’histoire de Yuzivka » organisée en 2019 était un projet de Victoria Donovan et Stefan Keddik, dédié à l’ingénieur minier britannique John Hughes, le fondateur de Donetsk (Yuzivka était le premier nom de Donetsk, réd.), et au groupe de migrants qui avaient accepté l’invitation de l’Empire russe d’investir dans le développement de l’industrie et étaient venus au Donbass pour développer la région.

Les institutions sociales et culturelles fondées par les Britanniques ont changé la vie des résidents locaux. En particulier, les salons de thé, les courts de tennis et l’église anglicane étaient des jalons de Donetsk durant un certain temps.

En montrant des histoires personnelles, des lettres, des mémoires et des photographies, les organisateurs de l’exposition ont voulu raconter les sentiments des migrants qui éprouvaient le déménagement, leurs rêves et leurs peurs, les avantages de la migration, le potentiel que les migrants pouvaient apporter (par exemple, en créant des villes entières), et l’isolement des zones industrielles. En même temps, l’histoire de l’industrialisation et de la région a résonné dans la vie quotidienne, dans un langage simple et compréhensible. Mykhaïlo parle également de l’influence mutuelle des cultures ukrainienne et britannique :

— Il y en a des photos prises au Donbass : ce sont les enfants de John Hughes portant des chemises brodées ou alors les écoles qu’ils ont fréquentées, les institutions qu’ils ont fondées : des églises, des clubs. On sait que la première rue de Louhansk s’appelait la rue Anglaise.

Mykhaïlo est convaincu qu’il est important d’utiliser le patrimoine historique et culturel pour le développement. Connaître l’histoire, se souvenir des personnes qui ont contribué à l’histoire, comprendre comment on a construit des villes, c’est être conscient de son passé.

IZONE. Kyiv

A son arrivée à Kyiv, l’Izolatsia s’est installée à l’espace d’expositions VDNH, mais les termes de coopération ne lui ont pas permis de fonctionner à plein. L’architecte britannique Rick Rowbotham, qui aidait l’équipe à trouver des espaces, a suggéré d’aller voir la zone de l’usine de construction navale de Kyiv, située près du centre-ville dans un des quartiers industriels. L’équipe d’Izolatsia a accepté cette offre. Elle a été la première à vouloir louer l’espace de l’usine (alors qu’aujourd’hui il y a une énorme file d’attente de locataires potentiels).

C’est alors, l’Izolatsia a créé, en plus de la fondation, une communauté de créateurs et l’espace IZONE. L’Izolatsia met en oeuvre des projets culturels, artistiques et sociaux, tandis que l’espace IZONE mène des activités commerciales. C’est ainsi que s’est constitué le social business, dont tous les bénéfices servent à payer le loyer et à réaliser les projets d’Izolatsia.

Le coworking

Dans un premier temps, on utilisait le rez-de-chaussée d’IZONE pour de grands événements tels que festivals de films, projections de films, concerts, conférences et expositions. Des vidéos de différents projets étaient projetés sur grand écran. Mais plus tard, l’équipe a compris qu’elle ne disposait pas de ressources nécessaires pour maintenir le fonctionnement des deux espaces d’expositions. Donc, une des salles a été transformée en espace coworking.

Cette décision a également été motivée par une demande d’avoir un espace de travail commun venant de la communauté de créateurs. Ceux qui réalisent des films, de l’animation, de la publicité, de la photographie, travaillent dans le domaine de l’architecture, de l’urbanisme, etc., créent et coopèrent sous le même toit. C’est ainsi que se constitue une communauté de créateurs.

Rick Rowbotham a développé le concept d’un espace de travail dans une pièce qui servait de laboratoire à l’usine : il y avait des poutres, des grues, des ascenseurs etc. L’architecte a délibérément laissé les éléments métalliques dans la salle pour garder l’esprit d’usine industriel. Il est important de préserver le patrimoine industriel, dit Mykhaïlo Glouboky :

— Il était important pour nous de garder l’esprit d’usine pour éviter que tout ça se transforme en un centre d’affaires ou de bureaux ordinaire, qui sont nombreux. C’est pour cette raison que nous utilisons ici des structures en acier, qui semblent être de l’usine auparavant. C’est un fer spécial qui s’oxyde très rapidement, donc il a rouillé très rapidement. Il a l’air d’avoir été sous l’influence de l’humidité pendant un certain temps.

Le coworking est divisé en deux parties. L’espace Open Desk est ouvert à tous : vous pouvez y travailler pendant les heures ouvrables. Il existe également des studios séparés pour ceux qui travaillent dans les industries créatives, où l’équipe d’Izolatsia analyse si les valeurs des projets s’accordent, car cette coopération est plus permanente que celle de l’espace ouvert. Parmi les résidents d’IZONE on trouve des peintres, des architectes, des producteurs de films et vidéos, des programmeurs, des designers, des sculpteurs.

La demande de coworking augmente chaque année, à mesure que la culture de coopération de différentes équipes dans le même espace se développe. A l’instant, le coworking IZONE s’étend sur deux étages, où travaillent au moins 30 équipes de différents projets créatifs.

L’atelier d’impression sur soie. Marina

L’IZONE dispose d’un atelier de coworking avec un atelier d’impression sur soie. Ici, les artistes et les entrepreneurs coopèrent : ils peuvent y mettre en œuvre à la fois des projets commerciaux et créatifs.

Marina Samokhina est une designer et responsable d’atelier, l’une des premiers membres de l’équipe, qui a rejoint l’Izolatsia quand elle était toujours à Donetsk et a déménagé à Kyiv avec ses collègues.

— Lorsqu’on est arrivé à Kyiv, un nouveau contexte est apparu. On devait repenser tout ce qu’on a fait et ce qu’on ferait. Ces changements nous ont sans doute poussé à la recherche de nouvelles façons de voir le monde et à la compréhension de ce que je fais pour une communauté à laquelle je peux avoir accès. Dans cette révision générale, j’ai trouvé ma place.

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L’atelier dispose d’une machine à graver, qui fabrique des produits en métal, carton, plastique, linoléum et plus encore. Mais l’axe principale de l’atelier est l’impression sur soie. L’ensemble du processus d’impression est effectué manuellement et les stations d’impression fonctionnent uniquement avec des pochoirs. En utilisant l’émulsion photosensible, la lumière et des images sur un support transparent (papier calque ou film), l’équipe réalise un pochoir. Cette image est ensuite imprimée sur la soie.

En plus de la production proprement dite, l’atelier organise également des formations. Certains étudiants deviennent des collaborateurs à IZONE, et ceux qui veulent simplement s’essayer à l’art de la sérigraphie participent à des fêtes d’impression sur soie.

— Nous communiquons, nous invitons des personnalités intéressantes qui emploient des méthodes qu’on peut reproduire dans notre atelier, nous nous inspirons. C’est déjà devenu un événement chouette et émouvant. Nous avons trouvé notre propres sens dans ce que nous faisons. Et nous partageons cela avec les gens.

L’espace public et d’exposition. Katérina

Au troisième étage d’IZONE, c’est un espace pour des événements publics. Par exemple, chaque mercredi, des peintres, sculpteurs et autres artistes organisent des mini-expositions dans le cadre du projet « Mercredi Art ». Parfois, en plus des œuvres d’artistes célèbres, les œuvres de jeunes artistes qui n’ont pas encore d’habitude d’expositions apparaissent dans l’espace.

Pour eux, c’est une occasion unique de présenter leurs œuvres dans un espace reconnu et d’inclure une exposition IZONE dans leur portfolio. Le thème de l’exposition doit être en ligne avec les valeurs d’Izolatsia : il doit s’agir d’un art critique avec du sens intégrées dans l’œuvre.

Des expositions et des installations dans IZONE existent depuis le moment de fondation de l’espace. Chaque année, l’espace reçoit plusieurs grandes expositions qui ne sont pas limitées dans leur format. En février-mars 2020, la Fondation Izolatsia a présenté une installation de l’artiste française Olga Kiseliova en coopération avec le centre commémoratif de l’holocauste « Babyn Yar ».

L’installation « Le jardin de la mémoire » était consacrée à la tragédie de Babyn Yar. La responsable de la communication, Katérina Igolkina, explique que ce projet est l’un des exemples de l’art-science qui allie la culture et la science.

— C’est intitulé « Le Jardin de la mémoire » parce que l’artiste, en coopération avec des scientifiques, a recherché, littéralement écouté les arbres de Babyn Yar, qui gardent la mémoire d’événements tragiques mais qui diffèrent de la mémoire humaine car elle n’est pas biaisée ou peinte de couleurs idéologiques. L’artiste a recherché et enregistré les mouvements à l’intérieur des troncs d’arbres, et ensuite, avec l’aide des scientifiques, les a transformés en une installation vidéo.

Antérieurement, l’Izolatsia avait organisé une installation dénommée « La réparation », où la réparation apparaissait comme une métaphore de l’état des choses dans la société. L’artiste tunisienne d’origine ukrainienne Nadiya Kaabi-Linke a fait appel aux changements, aux révolutions, aux situations politiques, économiques et environnementales dans le monde. Les pavés éparpillés dans l’espace d’exposition créent une sensation d’instabilité : il était difficile de marcher dessus. Tout comme il est difficile d’exister dans un monde instable.

En plus des projets individuels, IZONE accueille des résidences d’art comme un des domaines clés de l’Izolatsia. Le format des résidences d’art permet aux artistes d’échanger avec leur collègues ukrainiens et étrangers. Les artistes viennent à Kiev, vivent dans une auberge équipée sur le territoire d’IZONE et y travaillent.

La coopération de l’équipe d’Izolatsia et des artistes ukrainiens avec les invités des résidences d’art permet de mettre en oeuvre des projets qu’ils créent au cours du mois. Cette coopération, à quoi sert-elle aux artistes ukrainiens ? Katérina raconte :

— C’est l’échange d’informations et le message pour le monde entier pour dire qu’à Kyiv, en Ukraine, on peut faire des choses sympas ; des histoires portant sur un contexte intéressant qui existe en Ukraine qui mérite d’être connu dans le monde.

Gurtobus. Clemens

Un de ces résidents est Clemens Poole, qui gère les projets d’Izolatsia depuis cinq ans. Clemens est originaire de New York, où, fin 2013, il a fait connaissance avec l’équipe. Le commissaire est arrivé à Kyiv le 8 juin de l’année suivante, la veille de la saisie par les militants de l’usine de matériaux isolants. L’idée du premier projet à Kyiv « L’envahissement » est née comme une réflexion sur les événements à Donetsk.

Clemens est actuellement en charge du projet « Gurtobus », un bus Volvo de 12 mètres transformé en centre culturel mobile qui sillonne les régions de l’Ukraine. L’équipe du projet organise des événements culturels et éducatifs, des projections de films, des rencontres avec des personnes célèbres. Elle contribue également au développement du potentiel des communautés locales.

— Nous avons créé un centre culturel mobile, qui ne raconte pas ce qu’est la culture, mais au contraire, demande aux gens de le raconter. Tous les programmes visent à impliquer les communautés. De plus, nous préférons de poser des questions plutôt que d’y répondre.

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C’est un moyen efficace pour inciter les gens à réfléchir sur des sujets culturels. D’après Clemens c’est bien là la raison de la pertinence du projet. L’idée de décentralisation de la culture consiste à travailler avec le public dans des petites villes, où se trouvent des sites de l’industrie lourde, mais il n’y a pas d’activités culturelles.

— Pour nous, cela ne signifie pas que la culture est concentrée en un seul endroit et doit être décentralisée. Mais il est vrai que le soutien et le financement de la culture, ainsi que la pensée critique, sont centralisés. Nous essayons de décentraliser le soutien des personnes qui travaillent dans les domaines de la culture.

À la suite de grandes résidences d’art à Donetsk, des projets spécifiques ont été créés. Ce sont des projets qui étaient destinés à changer le paysage de l’usine Izolatsia. Ces résidences sont désormais tenues pour changer les villes. L’année dernière, l’équipe d’Izolatsia a organisé une école d’été à Severodonetsk qui était consacrée à des villes monofonctionnelles. Des chercheurs, des artistes et des activistes ont pu coopérer et créer un nouveau produit culturel afin de diffuser des connaissances sur la région prétendument industrielle.

« Les études de Donbass ». Dmytro

A l’entrée de la bibliothèque « Les études de Donbass » on voit les œuvres de Hamlet Zinkivsky, qu’il a créées à Donetsk lors d’une résidence d’art en 2010. Ce sont des portraits d’ouvriers d’usine peints sur des toiles métalliques qui sont ces rares œuvres qu’ils ont réussi à sauver après la saisie de l’usine par les militants.

Le projet « Les études de Donbass » a été initié en 2014 à Donetsk, lorsqu’il était nécessaire de parler de l’évolution de la situation géopolitique dans l’Est de l’Ukraine et des attitudes du public à l’époque.

Dmytro Tchepourny, le chef de projet, dit que ce projet interdisciplinaire a un programme public, un sujet de recherche et une bibliothèque. Une partie importante du programme public est l’école d’été qui est une résidence internationale rassemblant des chercheurs, des artistes, des commissaires d’expositions et des activistes.

— Les chercheurs déconstruisent, les commissaires et les artistes créent quelque chose, les activistes interagissent. Il est important pour nous qu’il y ait une synergie de ces trois ou quatre catégories qui peuvent établir un produit intéressant.

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La bibliothèque a été formée progressivement et se forme à ce jour. Les livres de la bibliothèque traitent principalement des régions de Donetsk et de Louhansk : leur passé, leur présent et leur avenir.

Une partie de la bibliothèque des « Etudes de Donbass » est la bibliothèque « Gurtobus ».

— Les livres arrivent ici d’une manière aléatoire : parfois nous les achetons, mais le plus souvent, ils nous les offrent quand on accueille des présentations, ou nos résidents les apportent ici. Le troisième cas c’est lorsque nous recherchons un sujet, nous achetons des livres sur un domaine d’art spécifique ou sur un artiste, s’il s’agit d’une mono-exposition.

Dmytro a rejoint l’équipe d’Izolatsia grâce à son travail de session universitaire. Il est venu ici pour lire de la littérature sur le sujet. On l’a ensuite invité à rejoindre le projet et il a accepté cette offre. Il est de Louhansk et l’histoire de sa région l’intéresse.

— Quand j’ai eu l’occasion de lire tous les livres qui étaient là, je l’ai saisie pendant ma première année. Comme l’a dit Karl Marx, nous ne devons pas seulement décrire le monde, nous devons aussi le changer, c’est-à-dire faire quelque chose – une résidence, ou un projet d’exposition directement dans cet espace. Il me semble que certains territoires industriels post-soviétiques et villes (Lysychansk ou Severodonetsk, Svyatogorsk ou Marioupol) semblent avoir été créés pour une telle intervention culturelle.

Depuis le déménagement forcé à Kyiv, l’Izolatsia travaille constamment avec des histoires du Donbass et de ses habitants. En 2020, l’Izolatsia prévoit de déplacer le centre de ses activités de Kyiv vers l’est de l’Ukraine. Il s’agit d’une filiale dans la région pour coopérer avec des partenaires locaux. Dmytro explique :

— Pour l’Izolatsia, la question du retour du Donbass est importante. Comment décentraliser une institution, comment être chez soi sans accès à sa ville natale ? Je pense qu’il est important de rassembler ce genre de communauté, de faire quelque chose, pour ne pas devenir fou et comprendre d’une manière ou d’une autre ce qui nous arrive à tous.

Alors que l’Izolatsia travaille à Kyiv et ouvre le monde de la culture, de la créativité et de l’art, en touchant à des questions sociales importantes, l’usine même est restée sur le territoire du « monde russe » et fonctionne selon ses propres règles en isolant et en emprisonnant les gens. La liberté de recherche, d’action et d’expérimentation dont dispose désormais l’équipe d’Izolatsia est à l’opposé des conditions dans lesquelles l’espace où tout a commencé existe en ce moment.

supporté par

Ce matériel a été traduit par le soutien de l'Institut Ukrainien

Le dossier est préparé par

L'auteur du Ukraїner:

Bogdan Logvynenko

Auteure:

Valeria Didenko

Rédactrice:

Zoya Chevtchuk

Productrice:

Karina Piliugina

Photographe:

Yurij Stefaniak

Opérateur caméra:

Oleg Sologub

Mykhaylo Shelest

Opératrice caméra:

Anna Vorobjova

Monteuse:

Mariia Terebous

Réalisateur:

Mykola Nosok

Éditeur photo:

Katya Akvarelna

Trascripteur audio:

Taras Bereziuk

Transcripteuse audio:

Alina Kufedtchuk

Anna Yemelianova

Natalia Gryniuk

Graphiste:

Kateryna Ptachka

Intervieweur:

Karina Piliugina

Traducteur:

Andrij Andrusiak

Éditeur de traduction:

Adrien Louvet

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