Hamlet Zinkivsky dessine dans les rues de Kharkiv depuis 2007. Au fil du temps, ses travaux graphiques monochromes avec des textes philosophiques sont devenus une composante indissociable du paysage de la ville. De son activité Hamlet apprécie particulièrement le dialogue avec le spectateur et se considère comme un artiste urbain :malgré sa popularité, sa participation à des projets urbains et la forte demande pour ses travaux, il continue à dessiner dans les rues de sa ville.
Au cours de ces 20 dernières années, le street art et le graffiti en Ukraine ont vécu des hauts et des bas. Quelques scènes locales se sont constituées. D’un côté, le développement du street art est lié à la présence des écoles d’art. De l’autre côté, il est lié au développement de la culture du graffiti, car les artistes graffeurs se tournent souvent vers le street art comme une étape dans leur développement artistique. Si la culture du graffiti se base sur les polices d’écriture, un sens de la compétition et l’adrénaline, le street art vise au dialogue avec le spectateur et l’environnement urbain, ainsi que le reflet de problèmes sociétaux.
La caractéristique principale du street art est son aspect temporaire. Avec le temps, les œuvres peuvent être ignorées par les passants spectateurs. Mais ils resteront dans le mémoire des artistes qui les ont créés et des gens qui ont été influencés par ces œuvres. C’est un art principalement figé sur des photos et dans la mémoire d’un cercle restreint des gens. Même les œuvres remarquables peuvent ne vivre que quelques jours.
Quelle impression artistique générale se crée en fonction de différentes mouvances ? À l’ouest de l’Ukraine on remarque mieux l’influence du street art européen. Ceci est en partie dû à l’échange d’expérience avec les artistes occidentaux simplifié par la proximité géographique car les voyages récurrents, les rencontres, la collaboration avec d’autres artistes et d’autres villes sont très importants pour le graffiti et le street art
Kyiv est une des capitales européennes des fresques murales faites par des artistes ukrainiens et par des artistes invités de renommée mondiale (parmi eux – Alexandre Farto (Vhils) et Pantonio du Portugal, Julien Malland de France, Fintan Magee d’Australie). Cependant, la qualité et la pertinence de la fresque murale sont très irrégulières, mais cette irrégularité permet de former ses propres préférences.
Fresque murale
Un dessin généralement réalisé légalement sur une grande surface destinée au grand public.A Kharkiv, en comparaison à de nombreuses autres mouvances ukrainiennes, l’art comprend plus de « textes » et des couleurs plus discrètes. Cette ambiance est en grande partie due aux œuvres des artistes Hamlet Zinkivsky et Roman Minin. En outre, Oleg Mitassov, une légende de Kharkiv entre les années 1980 et 1990, un fou « génie de la ville », a laissé son empreinte sur les murs de la ville et dans la mémoire des locaux. C’est parfois l’utilisation du texte, comme un élément esthétique mais également avec une portée philosophique et sociale, qui démarque le street art moderne dans un espace post-soviétique des autres régions du monde.
Hamlet Zinkivsky évoluait au début grâce à des œuvres urbaines, par la suite il a participé à une biennale de Venise et illustré un livre de Serhiy Jadan. Souvent un artiste qui réussit sort rapidement du street art et ses pratiques urbaines constituent uniquement une étape de son expression, un domaine dans lequel il a testé ses capacités. Mais Hamlet continue à dessiner sur les murs de la ville et reste un des artistes urbains les plus connus en Ukraine. Dans ses œuvres, qui sont devenues une partie de la personnalité de Kharkiv, le dessin monochrome est toujours réuni avec le texte.
« Mes parents sont mes meilleurs amis »
Hamlet a grandi avec un père peintre-monumentaliste et une mère journaliste. Dans son enfance il était solitaire et ne passait pas de temps avec les enfants de son âge. À 8 ans, alors qu’il allait faire les courses avec son père, il a dessiné une série de dessins consacrés aux bouchers du marché et aux têtes des cochons. Hamlet se rappelle qu’il restait presque tout le temps silencieux à l’école et était considéré comme « bizarre » :
— J’avais quelques connaissances mais qui ne devenaient jamais de véritables amis. Je parlais à mon père, à ses amis, je pouvais aller à son travail, c’était intéressant avec les adultes. Mais pas à l’école. Ensuite j’ai recommencé à parler à l’école d’art, ça m’intéressait parce que là-bas au moins certaines valeurs et idées se croisaient.
Hamlet a passé 5 ans dans l’école d’art, il est ensuite entré dans l’Académie nationale de design et d’art de Kharkiv à la faculté de peinture monumentale. C’est ainsi qu’il a connu Roman Minin, qui y faisait également ses études dans une des promotions précédentes, qui l’a initié au street art en tant que phénomène mondial. Cela a inspiré Hamlet qui a compris qu’il devait développer ses compétences de sa spécialisation académique grâce à l’art urbain. À la fin de sa deuxième année d’études à l’académie il a essayé de soutenir son stage d’été avec les travaux d’un festival d’art urbain de cette année, mais il s’est heurté aux doutes de ses professeurs vis-à-vis de l’appartenance du street art à l’art de la peinture monumentale.
L’art visuel monumentale
Peintures, fresques, mosaïques, panneaux qui ornent les murs des bâtiments. Adapté au grand public, existe uniquement en combinaison avec l’architecture.Plus tard Hamlet a également été déçu par la réalité de la peinture des cathédrales : il a décidé que ce n’était pas le domaine où l’accomplissement d’une personnalité artistique est possible. Il a été exclu de l’académie en troisième année à cause de deux matières manquées, mais à ce moment il avait déjà obstinément initié son chemin vers le dessin dans les rues et se préparait à l’exposition au PinchukArtCentre de Kyiv.
— Je pense que la culture urbaine est née plus au moins au moment où la ville elle-même est apparue. Seulement personne ne l’appelait ainsi – la culture urbaine. On inscrivait de la publicité sur les murs et dessinait les affiches, non seulement à Paris, mais à Kharkiv également. C’était lors du passage du XIXième au XXième siècle. La publicité était dessinée. Ensuite on pouvait dessiner par-dessus et en créer une autre à sa place. C’est une partie de la culture urbaine.
Hamlet se rappelle positivement la tradition ukrainienne de dessiner sur les murs des maisons des fleurs et des oiseaux et il regrette que de nos jours les gens le font peu. Maria Primatchenko, une peintre ukrainienne d’art naïf, s’inspirait de l’art mural traditionnel. La peintre Polina Raïko a dessiné sur sa propre maison. En réalité, des traditions pareilles existaient déjà à l’époque des maisons de la culture de Trypillia. Cette décoration populaire est devenue très répandue pendant les dernières décennies du XIXième – premier tiers du XXième siècle, les photographies d’époque et les sources folkloriques et littéraires en témoignent. On dessinait sur les murs des maisons dans les villages à l’intérieur mais aussi à l’extérieur, ainsi que sur les granges et certaines autres constructions dans la cour de la maison.
Hamlet apprécie particulièrement le street art qui modifie l’environnement autour de lui et fait réfléchir les gens, et trouve que cet art urbain manque en Ukraine. Il souligne que tout le monde n’est pas capable de remarquer le street art même s’il le côtoie. Par exemple, il y a des habitants de Kharkiv qui n’ont jamais vu ses œuvres dans les rues de leur ville pourtant il existe même une carte en ligne avec ses travaux.
Hamlet a un avis négatif envers les tags (des autographes des graffeurs sur les murs). Ainsi qu’envers tout l’art du graffiti qui est basé sur les polices d’écritures car il trouve que ce phénomène fait partie du passé. Cependant, les graffeurs eux-mêmes n’aiment pas vraiment les travaux de Hamlet – parfois à cause de leur quantité dans la ville (car les graffitis sont eux souvent effacés par les services publics), parfois à cause de sa popularité auprès des locaux et des touristes ou encore de ses propos critiques sur la sous-culture du graffiti. C’est pourquoi il devient de plus en plus dur de trouver des œuvres récentes de Hamlet non vandalisés à Kharkiv. Le plus souvent elles sont gâchées par des tagueurs et des graffeurs. En 2019 à Kharkiv un personnage anonyme est apparu dans les rues sous la forme d’une petite châtaigne jaune de cartoon surnommée « Zloy Bosch » qui entrait en dialogue avec Hamlet directement sur ses œuvres et lorsqu’Hamlet corrigeait cette modification, l’autre artiste créait une nouvelle « intervention ».
Une des histoires les plus connues à propos de Hamlet est appelée « le mur de contestation ». Déjà en 2016 il a dessiné sur un transformateur électrique une grosse paume tenant une personne et écrit « Il semble que j’e me suis trouvé moi-même. Il ne faudrait pas que je le perde… ». En 2018 certains locaux ont trouvé cette œuvre trop « schizophrène » et ont repeint le mur en gris. Le lendemain d’autres locaux sont entrés en dialogue avec les habitants du bâtiment directement sur le mur, tout a commencé par une phrase « ***(pénis). C’est mieux ? » Une vraie guerre urbaine a commencé, chaque jour le mur était repeint, chaque nuit de nouvelles inscriptions apparaissaient, des sketchs de fans avec l’art de Hamlet et du street art. Avec le temps la situation s’est calmée mais le dessin d’origine n’a pas été renouvelé. Hamlet dit qu’il ne s’attendait pas à une telle réaction de la ville et qu’il n’aimait pas les disputes en général. D’après lui, il existe dans le monde des sujets plus sérieux pour provoquer de la compassion, de la compréhension ou une réaction. Dans son classement des valeurs, les disputes entre peintres occupent la dernière place. Il a repris cette histoire comme sujet d’une de ces œuvres qu’il a nommée suivant la définition donnée par les locaux – « La schizophrénie ». Et il en a déjà vendu deux exemplaires.
Hamlet n’a pas de modèles dans l’art urbain, il ne surveille pas la scène urbaine ukrainienne non plus. Les gens des autres domaines l’inspirent.
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— J’aime les rassemblements chez moi dans la cuisine. J’invite des gens et il arrive que dans ma cuisine « Dostoïevski FM » (le groupe musical de Kharkiv – n.d.r.) travaille sur une nouvelle chanson, dans une autre pièce une fille écrit un livre, dans une autre des garçons font un montage vidéo et dans une troisième quelque chose se passe aussi.
À un moment, c’était la personnalité d’un peintre de Kharkiv Oleg Mitassov qui l’a impressionné. Candidat des sciences économiques, Oleg avait des troubles psychiques et à partir de la moitié des années 1980, les murs de Kharkiv rayonnaient avec son message sur le sort de l’homme soviétique si celui-ci perdait la tête. Les messages suivants se répétaient souvent : « Où sur la terre », « Ne pas arracher les étoiles du ciel », « Lénine », « Rétrécissement du cerveau sur la terre », « Mitassov » et le plus souvent « VEK VAK ». Une des légendes de la ville affirme que VAK veut dire en ukrainien la Haute Commission d’Attestation et que Mitassov aurait perdu sa dissertation dans un tramway ce qui aurait déstabilisé sa psychique et l’aurait poussé à dessiner. Certaines inscriptions sont toujours conservées dans l’endroit où il habitait et dans les cours des bâtiments près de l’Académie d’art appelé à l’époque « Khoudprom » (Institut d’art et d’industrie). Oleg Mitassov est mort en 1999. Il est devenu une figure emblématique de Kharkiv et la cour de son bâtiment (18 rue Mistetstv) un lieu de pèlerinage. Cette cour contient quelques œuvres de Hamlet.
Dans un de ses discours Hamlet raconte que, bien que la créativité d’Oleg ait été provoquée par une maladie psychique, à travers le prisme de l’art moderne il le considère comme un artiste important et même un messie du street art de Kharkiv. Hamlet a parlé aux gens qui habitaient dans ces bâtiments car dans les années 1990 ses parents et lui pensaient déménager dans un appartement un étage plus bas que celui d’Oleg. Le hall du bâtiment était entièrement rempli d’inscriptions et on entendait tout le temps des cris en provenance de son appartement. Le déménagement n’a pas eu lieu.
Photo : Maria Outchitel
Dans la rue Bahaliy (où se trouve également le Musée de la littérature), pas loin du bâtiment d’Oleg Mitassov, Hamlet a réalisé un dessin qui est devenu par hasard une dédicace à la mémoire du peintre-légende:
— Je préparais le mur et j’enlevais les couches d’enduit et des graffitis, il y en avait un vrai mélange. Et en dessous de tout cela j’ai découvert l’inscription « Mitassov ». Je l’ai entourée, ce petit bout, et le reste je l’ai peint en blanc et écrit : « On connaît, on aime, on se rappelle ». Juste par respect à Oleg Mitassov.
Depuis son enfance Hamlet est inspiré par la littérature. Ses auteurs préférés sont Franz Kafka, Nicolas Gogol et Daniil Harms. D’ailleurs, dans la rue Gogol on peut toujours apercevoir le grand mur de Hamlet Zinkivsky et de Roman Minin créé dans le cadre du projet de la galerie municipale « Pouchkine dans la rue Pouchkine et Gogol dans la rue Gogol ».
« Le peintre doit être responsable de ce qu’il fait »
Hamlet s’autocensure – ne pas « abuser » sur ses œuvres urbaines car il les destine aux passants de tout âge et expérience. Lorsqu’on lui demande parfois comment cela se fait qu’il crée des œuvres aussi tristes dans la rue, alors que lui-même est très joyeux, il répond que les gens ne voient pas ce qui se passe chez lui.
Dans ces œuvres il peut se permettre des sujets plus sensibles. Il compare une partie de son art à un jeu, quand l’idée devient la motivation « Pourquoi ne pas la réaliser ? C’est marrant, drôle, pourquoi pas ? » Une de ces histoires a commencé avec une pelle soviétique sale et rouillée qui a été donnée à Hamlet par un voisin quand il déménageait avec son ami d’un appartement communautaire.
— J’ai fabriqué une grosse mallette, un cadre avec du verre, et au milieu de ce cadre noir la pelle était suspendue avec l’inscription « Il est temps de l’oublier ». C’est une blague intelligente et j’ai déjà vendu cette œuvre 4 fois. Maintenant j’en garde une cinquième chez moi. Parce que tu te fabriques un truc pour toi-même, comme un rappel, et ensuite un collectionneur apparaît, rit et dit : « Super, je le veux ! » Hm, ok, je m’en fabriquerai un autre.
Les spectateurs remarquent souvent une ressemblance visuelle d’Hamlet avec ses héros, mais le peintre lui-même rigole en disant qu’il a la flemme de dessiner les cheveux. À l’adresse 47/49 rue Pouchkinska il a dessiné un « portrait psychologique » avec l’inscription « Je travaille en tant que personne ». D’ailleurs, quand on demande à Hamlet quelle est sa profession, il répond qu’il est peintre. Les gens rajoutent : « Ah, tu es sans emploi alors ? » — « Oui, un sans emploi très bien payé ».
— Si tu as appris à gagner de l’argent, c’est super pour toi. Mais cela ne veut pas dire que le temps c’est de l’argent. La phrase « Le temps c’est de l’argent » — je la déteste. Tu peux échanger ton temps contre de l’argent, mais le temps tout de même n’est pas de l’argent.
À 49 rue Pouchkine, un dirigeable est dessiné avec l’inscription à côté « Chaque chose en son temps, — dit le Capitaine du dirigeable ». Hamlet explique qu’il s’agit des dirigeables morts, technologie qui, à un moment précis, a perdu sa popularité.
— On m’a parlé d’une histoire de complot (contre les dirigeables) car les avions n’étaient pas encore aussi développés que maintenant, et les dirigeables, au contraire, étaient très développés. Il y avait un complot qui visait à mettre le feu à un dirigeable dans le ciel pour arrêter leur production (il s’agit d’une version conspirationniste de l’incendie et de l’accident du dirigeable « Hindenburg » en 1937. – n.d.r.).
Malgré le fait que Hamlet lie le texte et le dessin, certains sens de ses œuvres restent cachés. L’auteur aime écouter comment les autres interprètent ses dessins. Dans le même passage, juste à côté, il a fait un dessin d’éoliennes avec l’inscription « De quoi est malade le vent ».
— Vous savez, quand tu penses que tout le monde comprend ton idée, mais il s’avère que non. Quand je demande aux gens ce que je voulais dire, personne ne sait. J’ai l’impression que la pire maladie pour le vent dans le monde actuel est la fonctionnalité. Ce vent était libre, et maintenant il doit travailler. On a fait du vent un adulte.
Hamlet trouve que le peintre urbain doit veiller sur la ville, ne pas faire du vandalisme, respecter les constructions historiques et choisir consciemment les surfaces. Il estime que le peintre urbain ne peut pas dessiner sur les monuments historiques mais il croit qu’en théorie il existe une collaboration efficace de ce genre. Hamlet priorise des surfaces sales de base et plaisante sur le fait qu’il aime tellement nettoyer la ville et dessiner par-dessus la saleté que quand il sera vieux, il ira travailler dans les services municipaux de gestion et d’entretien.
Vandalisme
Dégradation malveillante (et souvent non réversible) du patrimoine et du bien collectif.D’après lui, en Ukraine on n’a pas encore décidé si un peintre urbain a le droit de s’exprimer (Yan Ptouchko, peintre urbain de Severodonetsk a parlé des droits des artistes étrangers à la différence des ukrainiens). Hamlet estime que le Brésil est un bon exemple de tolérance, car les dessins dans les rues sont très répandus non seulement parmi les peintres mais aussi parmi les locaux. En outre, l’architecture dans ce pays permet souvent d’inscrire en harmonie cet art dans l’espace de la ville : partout il y a beaucoup de surfaces de murs.
Au Brésil en 2007 le street art a été officiellement légalisé à condition que le propriétaire du bâtiment donne son accord pour réaliser une œuvre (pourtant la plupart des peintres urbains créent tout de même des œuvres sans l’accord du propriétaire ou dans des endroits abandonnés). Dans ce pays, les gens distinguent les notions de tags (pichação) et de street art (grafite) : le gouvernement ne soutient pas la simple reproduction du nom d’un artiste mais accepte l’expression artistique. Parfois l’implication des artistes urbains aide les propriétaires des bâtiments à protéger leurs murs des tags car au Brésil les artistes ne tagguent pas par-dessus les œuvres d’art, à la différence de l’Ukraine où toute œuvre peut être recouverte plus tard par un graffeur.
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L’idée que le gouvernement doit s’impliquer dans le développement de l’art urbain plait beaucoup à Hamlet, cependant il n’a pas envie de collaborer avec eux. Pendant ces premiers 10-15 ans de création d’œuvres dans les rues il a été amené à donner régulièrement des pots de vin à la police. Maintenant la police lui demande parfois son autographe et les institutions gouvernementales lui commandent des œuvres. Mais Hamlet dessine uniquement ce qu’il veut lui-même, il accepte très rarement des commandes car il lui est beaucoup plus agréable de dessiner une œuvre qu’il a voulu faire de lui-même et de la vendre par la suite. Il dit qu’il apprécie cette liberté.
Malgré des propositions de dessiner à Kyiv, cette ville ne possède pas d’œuvres d’Hamlet. En outre, il ne veut pas déménager dans la capitale, car il n’aime pas le vacarme (la précipitation, l’agitation, etc).
— Ta ville doit avoir quelque chose d’autre à part la publicité, c’est sûr. Pour moi, le fait qu’à Kyiv certains arts muraux sont recouverts avec de la publicité est très démonstratif. Comment ça ? Il y avait un tel tapage médiatique autour de cela : la ville des fresques murales, des peintres de renommée mondiale y viennent. Et ensuite bim, une bannière publicitaire. Comment a-t-on pu admettre cela ? Il y avait vraiment beaucoup de surfaces où ils auraient pu accrocher cette bannière, s’il le fallait tellement. Mais pas sur cette fresque murale. Comment ?
Hamlet considère Kharkiv comme sa maison, il essaie d’en prendre soin avec des méthodes accessibles au peintre. Il aime marcher et vivre au centre-ville. En outre, d’après lui cette ville est assez diversifiée. Hamlet connaît des mamies qui lui amènent des pirojkis, et certaines qui appellent la police car elles ont trouvé « un terroriste ». Il dit que tout ça lui tient très à cœur. Dès qu’il rentre de l’étranger, il va rechercher ce qu’il faut corriger dans ses œuvres. Il y a des opportunités à Kharkiv. C’est pour cela qu’il y reste.
— Si je n’étais pas aussi paresseux, j’aurais noté toutes ces histoires qui m’arrivent lors de mon travail dans les rues.
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Hamlet définie le message principal de son art au public comme un « moyen de réfléchir ». Le street art laisse la possibilité de partager ses propres pensées et ensuite de rencontrer des gens absolument différents mais qui partagent cette idée. C’est ce que Hamlet préfère dans sa profession.
— Tu passes devant ton œuvre et y vois une mère avec son enfant qui épelle lentement ta phrase. Ils commencent à se parler : qu’est-ce que le peintre essayait de dire ? La mère se met à expliquer comment elle comprend mon œuvre.
Le cercle de connaissances du peintre est large – de personnes sans domicile à des oligarques. Une fois Hamlet travaillait dans un passage et un groupe de gens sans domicile s’est approché de lui avec des gros sacs. Ils lui ont raconté leur dispute à propos du sens d’une de ces œuvres et ont demandé ce qu’il avait voulu dire. Une autre anecdote, quand il créait une installation à Donetsk à « Izolatsia ». D’abord Vassyl, un chauffeur de camion âgé, qui aidait Hamlet, ne comprenait pas à quoi tout cela servait. Il disait qu’il avait transporté des cages remplies de matériels pendant 45 ans, et que maintenant il faisait ici quelque chose qu’il ne comprenait pas. Pourtant, après avoir visité l’exposition et avoir lu les textes, cet homme a déclaré que c’était la première fois de sa vie qu’il avait ressenti avoir touché à quelque chose de vraiment grandiose. Ces propos sont plus importants pour Hamlet que les likes sur les réseaux sociaux.
Souvent les dessins sont détruits par des agents des services publics, des locaux ou des graffeurs. Au moins deux fois par an — avant le printemps et l’hiver — Hamlet fait un tour de ses anciennes œuvres pour vérifier leur état ou les rénover si besoin. Avant il s’inquiétait beaucoup que ses œuvres s’abimaient vite mais ensuite il a changé d’avis :
— Parce que tout disparaît – vraiment tout. Quand cela se produit aussi vite, tu as l’impression de mieux en comprendre les raisons. C’est très agréable quand une œuvre te manque, quand tu te rappelles que cette œuvre était cool mais qu’elle a été détruite. Ensuite il y a une personne qui vient te voir et dit : « Tu sais, c’était mon dessin préféré. C’est dommage qu’il ait disparu ».
De temps en temps Hamlet entre en dialogue avec les adversaires de son art. Un de ses avis sur eux – les gens qui dessinent par-dessus son street art se sont forcés au moins à se lever pour changer ce qu’ils n’aiment pas et cela mérite également le respect. Son œuvre « avec un pince à linge » sur la porte d’un bâtiment habité a souvent été recouverte. (« Pince-toi quand tu n’es pas sûr que ce miracle soit la vie réelle » — n.d.r.). Il la restaurait encore et encore jusqu’au jour où il a fait connaissance de la personne qui le faisait – un vieil homme négativement intentionné. Pourtant, après deux heures de conversation, l’homme était même heureux qu’il y ait une telle jeunesse dans la ville tout en gardant son avis qu’il ne faut dessiner que des « bonnes choses » — des fleurs et des filles — dans les rues. Hamlet expliquait à son interlocuteur qu’il ne pouvait pas lui indiquer quoi dessiner sur cette porte car elle ne lui appartenait pas.
Une autre fois, lorsqu’il dessinait dans un passage, il a entendu un commentaire exprimant qu’il ferait mieux de remplir cette cour complètement détruite d’asphalte plutôt que d’y réaliser son œuvre.
— Bien sûr, ce serait mieux que je mette de l’asphalte dans cette cour, mais cela ne correspond pas vraiment à ma profession. Je n’ai pas encore assez grandi.
Hamlet ne court pas derrière l’actualité. Au contraire : il est ravi que ses œuvres ne soient pas d’actualité sinon elles porteraient toutes sur la guerre. Il a passé un an et demi dans un poste de volontaires appelé « Pivdennyi poste » à la gare de Kharkiv : une fois par semaine il venait la nuit au point de transbordement des soldats qui allaient ou rentraient du front. À Kharkiv, ils s’arrêtaient à la gare pour dormir, manger, boire du thé ou du café et attendre leur train.
Je comprends que je vis encore, je travaille et je développe mon street art à Kharkiv et dans d’autres villes ukrainiennes grâce aux jeunes hommes qui en 2014 sont partis du Maïdan directement au front sans rien avec eux. Je voyage à travers le monde, je vends des tableaux. Si la République populaire de Kharkiv s’était installée ici (nom théorique d’un régime terroriste à Kharkiv, par analogie avec les Républiques populaires autoproclamées de Donetsk et de Louhansk), je ne serais pas là. J’en suis persuadé. Et je leur en suis très reconnaissant. C’est une partie de moi-même – aider les soldats. Parce qu’ils me permettent de vivre comme je vis.