En conquérant de nouveaux territoires, la Russie vise également à effacer l’identité nationale de la population locale. Pour l’ennemi, il est important que les gens renoncent à leur État au profit d’un autre. Cela permet notamment de maintenir le contrôle sur les territoires occupés. Pourtant, il reste encore des Ukrainiens dans les territoires temporairement occupés qui ne veulent pas subir le « monde russe » et qui aident les forces de défense à libérer ces territoires dès que possible d’où le groupe « Zla Mavka » (Méchante Mavka).
Le « monde russe »
Une idéologie de l’impérialisme russe provoquée par l’État promouvant l’annexion des pays voisins qui est fondée sur leur affiliation à la langue et à la culture russes ainsi qu’à l’histoire commune.« Zla Mavka » est un mouvement de résistance uniquement féminin qui utilise des moyens non violents de lutter contre les occupants. Il a émergé au début de 2023 à Melitopol, où la résistance ouverte aux russes est devenue impossible. Les participantes du mouvement, les Mavkas, ne se connaissent pas, elles sont anonymes, elles collent des affiches et des tracts, diffusent les informations véridiques (contrairement aux fausses nouvelles russe) et tentent de faire tout pour mettre les occupants mal à l’aise.
Seulement les trois cofondatrices se connaissent. Pour leur sécurité, on ne peut pas révéler leurs vrais noms, c’est pourquoi on vous raconte ici sur la Première Mavka, la Deuxième Mavka et la Troisième Mavka. Les femmes ont dévoilé comment le mouvement est né d’une blague, pourquoi les russes sont dévoilés lorsqu’ils tentent d’infiltrer les rangs de « Zla Mavka » et ce qui leur manque le plus sur les territoires occupés.
Mavka
Dans le folklore ukrainien, c’est un esprit de la forêt décrit comme une jeune femme belle et ethérée qui trompe ses victimes dans les bois. Les mavkas sont souvent présentées comme les âmes des filles non mariées qui sont mortes tragiquement.D’une petite blague dans cuisine au mouvement de résistance
« Zla Mavka » agit en ligne par une chaîne de Telegram* avec le chatbot et sur place dans les localités occupées. Son logo est une image de trois femmes symbolisant les trois cofondatrices. L’une parmi elles porte des vêtements ukrainiens traditionnels, la deuxième est avec un rouleau à pâte dans ses mains, et la troisième porte des habits féminins plus modernes. Ces images ne sont pas accidentelles : elles transforment des représentations stéréotypiques des femmes en symboles de force féminine.
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Tandis que l’Ukraїner considère Telegram comme une plateforme peu sûre, il reste l’une des rares chaînes de communication encore disponibles dans les territoires temporairement occupés.Les cofondatrices disent que la création de mouvement n’était pas du tout une histoire héroïque. La raison principale et le moteur de ça était le seul fait de la présence des occupants et des drapeaux russes dans les rues de leur ville natale. Chacune d’entre elles a aidé les activistes à Melitopol même avant leur propre initiative. Mais quand la résistance est devenue clandestine, elles ont décidé de montrer aux russes ce qui est la résistance des femmes ukrainiennes, dit la Première Mavka :
— Montrer que nos femmes sont courageuses, fortes, et que nous ne serons jamais gentilles avec eux. De plus, ce temps-là (2022-2023 — NDLR) ils étaient très impertinents avec nos filles et vraiment frappés par la résistance féminine.
Source de la photo : chaîne Telegram « Zla Mavka »
La Troisième Mavka se rappelle que le mouvement a commencé par une blague dans la cuisine : pourquoi pas fonder une organisation pour résister à l’occupation russe ? L’idée est venue de désespoir et de colère :
— Au début, c’était la résistance de principe. Quand tu sais que les conditions sont plus fortes que toi, mais tu n’arrêtes pas.
Les femmes ont choisi la voie de la résistance non violente pour gêner les occupants et leur rappeler qu’ils ne sont pas les bienvenus à Melitopol. En préparant leurs activités, elles ne pensaient pas que cela se développerait en un grand mouvement féminin. Pour des raisons de sécurité, elles ont commencé dans un petit groupe d’amies. La Première Mavka raconte que leur premier projet était des tracts qui ont aidé à trouver les gens partageant les mêmes aspirations :
— On inventait des dessins uniques et des messages pour faire les occupants s’énerver énormément, et nous les avons distribués là où ils les allaient voir certainement. Puis, on a créé une chaîne de Telegram pour montrer ce qu’on fait et ce qu’il se passe ici. C’est alors quand tout a démarré. Les femmes et les filles d’autres villes occupées ont commencé à nous écrire pour que nous leur envoyerions nos cartes à distribuer là. On ne savait pas qu’elles étaient si nombreuses. C’est là où nous avons réalisé qu’il faut s’organiser et prendre tout au sérieux, établir des règles, des mesures de sécurité, etc.
Maintenant elles ont des successeures de Donetchyna à travers la Crimée. Les Mavkas ont créé un chatbot de Telegram pour communiquer communiquer aux chefs du mouvement et recevoir des tâches. La communication est ainsi anonyme et sécurisée, ce qui est la priorité, selon la Troisième Mavka :
— On ne demande jamais de vrais noms ou d’informations qui peuvent dévoiler l’identité de quelqu’un. La communication s’effectue que via les applications de messagerie fiables. De plus, on toujours souligne sur l’importance de la cybersécurité : il faut effacer des tchats, ne garder rien d’important, etc.
La Deuxième Mavka ajoute que les gens dans les territoires occupés se sont habitués à être vigilants vu que les occupants procèdent aux perquisitions, surtout de téléphones. Ainsi, les Mavkas conseillent d’avoir deux appareils si possible. Et sinon, il ne faut garder rien qui peut être utilisé par les occupants comme une preuve d’activités clandestines.
Cette atmosphère d’anonymat pourrait profiter aux Russes et aux employés de leur renseignement qui veulent se déguiser et pénétrer dans le mouvement pour révéler ses participantes. Mais, selon la Première Mavka, ils sont assez faciles à identifier :
— Souvent c’est même amusant. Je sais pas comment ils ont été instruits, mais le «camarade major » a l’air très drôle qu’il est déguisé en une fille ! Nos règles sont si bonnes que le maximum qu’il peut obtenir est une tâche de notre part. Alors qu’il aille et peigne le drapeau ukrainien !
Ce que blesse vraiment les Mavkas, c’est de voir des traîtres parmis leurs anciens amis ou même membres de leurs familles, a dit la Deuxième Mavka :
— Tu crois que tu connais une personne depuis la moitié de ta vie, mais il s’avère qu’elle peut traihir sa famille pour des avantages de la part des occupants.
Résistance avec humour
Les activistes sont fières de toutes leurs actions. L’une des plus préférées est « L’argent de la Mavka » où les participantes ont remodelé les roubles et en ajoutant des images de mavkas. Ces billets ont été distribués à Melitopol, Berdiansk, Tokmak, Kakhovka, Simferopol, Sébastopol et Yalta. Et après même en Kouban (Russie). La réaction des occupants ne s’est pas fait attendre, se souvient La Troisième Mavka :
— Le premier billet était excellent. Ils se sont énervés énormément sur leurs chaînes de Telegram et dans les commentaires. C’était amusant d’observer cette réaction. Et le plus drôle c’est que la discussion s’est intensifiée quand un journal anglais en a parlé. C’est-à-dire qu’au lieu d’instaurer l’idée qu’ils propageaient, en disant que c’est rien d’important, ils ont eux-mêmes la promouvaient.
«L'argent de Mavka» avec l'inscription «Vous êtes en Ukraine. Ce n'est pas la Russie»
La Première Mavka se rapelle : quand la première copie du rouble a été émise à Melitopol, les chaînes de Telegram locaux pro-russes l’éclairaient comme une tentative de détruire le système bancaire russe.
— Imaginez-vous, on a émis des copies de leurs roubles avec le message qu’ils (les occupants — NDLR) sont en Ukraine, et ils parlent à quel point nous sommes stupides ! Parce que nous avons émis un billet de 50 roubles, et par si petit billet c’est impossible de détruire leur système bancaire et d’entraver la circulation du rouble. Je le lisais et je n’en croyais pas mes yeux. C’est comme ça que notre nouvelle blague sur les occupants s’est révélée être un « acte terroriste » très sérieux.
La campagne préférée de la Deuxième Mavka est la « Cuisine de Mavka ». Au début, les femmes distribuaient seulement des affiches appelant les occupants à faire attention à ce qu’ils buvaient ou mangeaient. Puis, les participantes ont eu accès à la cuisine où mangeaient les Russes et ont ajouté des laxatifs à leur nourriture. Plus tard, elles ont fait de même avec de l’alcool fait maison :
— Quand les occupants sont allés de porte en porte et ont demandé de l’alcool fait maison ou de la bouffe, je me suis dit : pourquoi pas ? Je sais cuisiner, et si un peu de laxatif se retrouve dans la nourriture, cela arrive. Et l’alcool fait maison est une chose dangereuse. Peut-être que je ne l’ai pas bien surveillé. C’est ainsi que l’idée de la « Cuisine de Mavka » est née. Tout le monde aime ça.
Cuisine des Mavkas. Source de la photo : chaîne Telegram « Zla Mavka »
Cuisine des Mavkas. Source de la photo : chaîne Telegram « Zla Mavka »
Maintenant, les occupants à Melitopol ont souvent peur de manger des aliments dont ils ne sont pas sûrs. Même s’il s’agit de légumes ou de fruits frais.
Une autre partie importante du travail de « Zla Mavka » est la création d’un journal hebdomadaire. En effet, il est difficile d’avoir accès à des informations véridiques dans les territoires occupés. C’est ce qui a motivé la création de cette revue, explique la Première Mavka :
— Il est évident qu’il est facile de trouver des informations aujourd’hui. Mais sous l’occupation, ce n’est pas le cas pour tous. Par exemple, la génération plus âgée, qui ne sait pas comment contourner tous les blocages, le VPN, et qui ne veut généralement pas prendre le risque en cherchant des chaînes ukrainiennes, se tient à la télévision. Et là, vous savez [que seules les chaînes de propagande russe sont disponibles].
L’idée de l’hebdomadaire est venue à la Deuxième Mavka lors de sa visite à une amie à la campagne. Elle a vu que ses amis regardaient les informations russes à la télévision et qu’ils pensaient que cela suffisait, si bien qu’ils ont choisi de ne pas chercher d’autres informations.
Aujourd’hui, les membres de « Zla Mavka » sélectionnent les principaux événements de semaine en Ukraine. Elles distribuent la version imprimée du journal via les boîtes aux lettres, la placent devant les portes d’entrée, la laissent dans les parcs et encouragent les autres à en faire passer à leurs amis après l’avoir lue. La version numérique peut être aussi téléchargée dans le tchatbot Telegram. La Troisième Mavka rappelle qu’il est arrivé que des personnes téléchargeaient le journal et le transmettaient via les messageries. Ces actions contribuent également au mouvement :
— Même un seul journal, une seule affiche ou un seul sticker est une petite victoire personnelle pour la personne qui l’a fait.
Hebdomadaire. Source de la photo : chaîne Telegram « Zla Mavka »
Hebdomadaire. Source de la photo : chaîne Telegram « Zla Mavka »
« Zla Mavka » n’a pas de sponsors ni de financement, et en général on n’a pas besoin de rassembler beaucoup d’argent. Chacune qui souhaite rejoindre le mouvement et qui possède une imprimante à la maison peut imprimer une affiche, un journal, un sticker ou même un faux billet pour la prochaine action. Ce qui est vraiment nécessaire pour que le mouvement fonctionne, ce sont les gens, dit la Première Mavka :
— Avant tout, on a besoin de motivation, d’inspiration et de foi en notre victoire. La question financière n’est pas vraiment importante. Il faut de l’argent, bien sûr, mais rien de spécial. Il faut beaucoup d’yeux et d’oreilles. Pour que les gens continuent à résister, il faut qu’ils sachent qu’ils le font pour une raison. Nous remarquons souvent que dès qu’il y a de bonnes nouvelles d’Ukraine ou du front, le nombre d’activistes augmente. Les gens sont inspirés et prêts à agir à nouveau. Mais aussi cela fonctionne inversement : tout le monde consulte Internet et il est très facile de se démotiver.
C’est pourquoi une autre tâche importante des trois Mavkas est le soutien d’autres femmes sous l’occupation. Leur rappeler qu’elles ont quelqu’un à qui s’adresser et parler, qu’il y a des personnes qui partagent leurs opinions. La Première Mavka s’efforce de ne pas laisser les femmes s’attrister, et la Troisième Mavka ajoute que de simples conversations y aident souvent :
— Il ne s’agit pas de persuasion, mais d’une sorte de soutien psychologique mutuel. C’est comme si on discutait avec sa copine dans le tchat. Et c’est quelque part l’esprit même de notre chaîne Telegram. Tout y est sarcastique et humoristique.
La Deuxième Mavka raconte que souvent, les trois femmes répondent aux messages ensemble :
— Nous sommes amies, même si je suis plus âgée que beaucoup d’autres, les femmes me demandent des conseils ou, si c’est vraiment difficile, viennent pleurer en silence. Beaucoup de filles de différentes villes m’écrivent pour leur conseiller ou discuter quelque chose de l’occupation. Les filles viennent, nous nous asseyons ensemble et nous commençons à répondre à toutes. C’est comme une sorte de club des femmes anonyme. J’aimerais rencontrer certaines d’entre elles après la libération, celles qui je n’ai jamais vues, mais qui sont déjà amies.
Les Mavkas ont aussi remarqué à quel point le sentiment d’être soutenues en Ukraine ou à l’étranger aide les femmes sous l’occupation. La Première Mavka raconte :
— Je me souviens de leur joie lorsqu’elles ont vu des photos de différents pays où des femmes dessinaient notre symbole sur leurs mains ! C’était fantastique. Les Mavkas écrivaient beaucoup, je me souviens d’un message : « Je ne sais pas comment vous l’avez fait, mais je vous remercie. C’était tellement important pour moi de voir que nous n’étions pas oubliées, qu’on était fières de nous et qu’on continuait à se battre pour nous. Cela m’a donné des forces pour continuer mon activité. »
Zla Mavka's supporters across the world. Photo source: “Zla Mavka” telegram channel.
Au contraire, il est décevant de voir des accusations que les actions de « Zla Mavka » ne sont pas suffisantes et qu’on aurait pu faire plus d’efforts. Les fondatrices disent qu’il est bizarre de lire de tels messages, surtout de la part de personnes qui ne sont pas en Ukraine. En effet, il est difficile de mener une lutte ouverte dans les territoires occupés : les Russes ont installé des caméras de surveillance dans les rues et vont installer bientôt celles à identification faciale. Les envahisseurs vérifient les gens dans les rues, effectuent des perquisitions et font tout ce qui peut compliquer la vie des activistes et des citoyens ordinaires, déclare la Première Mavka :
— Il faut tenir compte de beaucoup de nuances avant même de mettre un tract sur le mur. Au fait, c’est pourquoi il est très insultant que les Ukrainiens écrivent que nous faisons des bêtises qui ne servent à rien. Chaque fois que tu trembles au moindre bruit, à la moindre ombre, ou simplement à ta propre peur. Parfois, ces situations sont réelles : quelqu’un regarde par la fenêtre (et il y a plein de gens qui aiment informer), une voiture passe ou autre chose… À chaque fois, tu penses que c’est fini, tu es attrapée… Mais ensuite, comme dans le brouillard, tu fais rapidement ce que tu dois faire et tu t’enfuis. Et même lorsque tu es en sécurité, tu ne le sens pas. Et si quelqu’un t’avait vu ? Ou peut-être qu’il y avait une caméra que tu n’as pas vue ? Ou peut-être qu’ils te trouveront…
La vie sous l’occupation en général est très limitée. Le plus grand défi est de survivre. Les Mavkas voient que plus l’occupation dure, plus il est difficile pour les gens de se battre et de croire. Cela tient aux restrictions des informations, aux difficultés à satisfaire les besoins essentiels, à la pression psychologique des Russes. La Deuxième Mavka pense que dans ces conditions, on commence à mieux comprendre et apprécier ce qu’il s’est passé auparavant :
— Nous n’avons pas remarqué beaucoup de choses qui sont ressenties de manière très aiguë aujourd’hui. C’est l’occasion de parler la langue que tu veux, de ne pas cacher tes pensées. C’est rigolo, mais même nos produits ukrainiens me manquent, alors que j’y suis habituée. Malheureusement, le temps passe et les gens s’habituent à cette vie. C’est probablement le pire.
Pour les Mavkas, cela signifie une seule chose : devenir plus inventives, chercher de nouvelles méthodes de lutte tout en restant anonymes, et maintenir le moral des participantes.
Hebdomadaire. Source de la photo : chaîne Telegram « Zla Mavka »
Luttez et vous vaincrez
Les cofondatrices prennent ensemble toutes les décisions liées aux activités de « Zla Mavka », mais seulement si toutes les trois sont d’accord. Les autres participantes sont responsables de leur propre sécurité et des risques, et les règles de sécurité sont toujours les mêmes, selon la Troisième Mavka :
— Les orcs (Russes — NDLR) t’arrêteront pour la même raison — soit pour un sticker avec une mavka, soit pour le journal. Brûler le drapeau russe est probablement l’acte le plus risqué. Ici, nous discutons en détail de qui le fait, s’il y a des caméras et à quel moment il vaut mieux le faire. Et nous ne publions jamais [le résultat du travail en ligne] immédiatement, pour ne pas alarmer l’ennemi.
Pour la même raison, les Mavkas essaient de documenter leurs activités seulement par le biais des ressources du mouvement : le site web avec une section séparée appelée « Journal de la Mavka », la chaîne Telegram, ou la coopération avec les journalistes. Elles essaient de ne pas conserver des dossiers personnels, dit la Troisième Mavka :
— Ça serait comme documenter de ses propres mains une affaire criminelle devant un tribunal russe.
À cela s’ajoute la pression psychologique. Pour les Mavkas, il s’agit d’abord de la présence même de l’ennemi sur leur terre. Mais aussi des attaques sur Internet : des commentaires offensants ou des menaces sexistes en masse sur leur chaîne Telegram ou sur les ressources de l’ennemi. Les Russes tentent souvent de pirater les réseaux sociaux de « Zla Mavka », de créer des clones de chatbots ou des faux comptes des participantes et d’écrire aux locaux en leur nom. En même temps, selon la Première Mavka, les occupants essaient de faire croire que le mouvement de résistance n’existe pas :
— Ils dévalorisent nos actions sur leurs réseaux sociaux, répétant que nous sommes des rats ou que nous n’existons pas du tout. Mais les gars, pourquoi envoyez-vous votre « Armée des jeunes » couvrir nos graffitis ? Le pire pour eux serait d’admettre que nous existons. Car ils devraient alors admettre qu’ils n’ont pas autant de soutien ici qu’ils le disent dans leur propagande. C’est notre tâche principale : nous montrons au monde que nous sommes là et que les gens ici attendent l’Ukraine !
L’Armée des jeunes
Organisation paramilitaire russe pour mineurs, fondée par le ministère russe de la Défense en 2016. L’organisation a fait l’objet de nombreuses critiques pour avoir militarisé des enfants ukrainiens dans les territoires occupés.Pourtant, ces obstacles n’affectent pas le désir de « Zla Mavka » de poursuivre leur résistance. Les femmes veulent montrer aux Russes qu’elles n’ont pas accepté l’occupation, dit la Deuxième Mavka :
— Parfois, on pense que tout cela est peut-être en vain, qu’ils sont vraiment venus pour longtemps, mais ensuite on se dit : « Fais ton travail, et nos gars viendront ».
L'une des Mavkas à Mélitopol. Source de la photo : chaîne Telegram « Zla Mavka »
En plus de la communauté et du soutien, l’humour, souvent noir, aide les Mavkas à poursuivre leurs activités. Toutefois, parfois, les histoires d’actions peuvent sembler drôles rétrospectivement, mais à ce moment-là, elles sont dangereuses pour les participantes du mouvement. Ainsi, la Première Mavka se souvient d’une des filles qui est allée coller des tracts en Crimée. La fille s’est assise près de la clôture pour les retirer sans être aperçue :
— Dès qu’elle les a retirés, un vieil homme est sorti par derrière. Elle a caché les tracts et a attendu qu’il parte. Il s’est approché d’elle et lui a dit : « Une droguée, toi ! ». Elle a commencé à rire que le vieil homme ait cru qu’elle cherchait une drogue déposée quelque part là, mais elle s’est vite rendu compte que c’était sérieux. Il l’a attrapée (elle a à peine eu le temps de cacher le tract) et l’a traînée vers la maison. Il lui a dit qu’il allait l’interroger et qu’elle allait lui dire à qui elle avait acheté la drogue. La jeune fille a réussi à s’échapper et tout s’est bien terminé. Mais c’est une histoire drôle qui pourrait être tragique. Il aurait pu appeler la police, qui aurait alors trouvé nos tracts, mais, Dieu merci, cela ne s’est pas passé ainsi.
«Débarrassons-nous des ordures russes». Source de la photo : chaîne Telegram « Zla Mavka »
Bien que les Mavkas se préparent scrupuleusement à chaque action, des situations imprévues peuvent toujours se produire. Mais il est bon qu’un étranger qui se trouve à côté de soi ait des opinions pro-ukrainiennes. C’est ce qui est arrivé à la Première Mavka :
— Le plus effrayant, jusqu’à présent, a été de brûler des drapeaux russes… Je ne veux pas le faire quelque part dans la cour, je veux le faire sur place pour que les occupants puissent le voir sur leur chaîne Telegram. Quand on réussit, c’est incomparable à rien ! Parfois, il faut revenir cinq fois sur place pour le faire parce que quelque chose l’a empêché. Un cas a été le plus inattendu… Au cours du processus, une femme est apparue… Elle me voit, je la vois, nous restons là à nous regarder avec stupeur, puis elle sourit et dit : « Viens, dépêche-toi, il y a une voiture de patrouille de police qui passe, tu devrais prendre la rue X ». J’étais abasourdie, mais j’ai couru rapidement et avec un sourire — les NÔTRES !
Le soutien extérieur bénéficie également aux femmes. La Troisième Mavka raconte :
— Quand des journalistes étrangers écrivent, nous savons que nous agissons correctement. Il y a quelque temps, je suis tombée sur le post d’un soldat ukrainien qui nous a vues et qui a écrit des mots de gratitude… Je pleurais… C’est nous qui vous sonmes reconnaissantes ! Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir, tant que cela est utile…
Les petits trucs et rituels domestiques les sauvent aussi. Par exemple, pour la Troisième Mavka, c’est planifier et mettre de l’ordre. Pour la Deuxième Mavka, ce sont les attributs qui leur rappellent la vie avant la guerre à grande échelle. La Première Mavka dit qu’il lui semble parfois que le lien avec la vie paisible est perdu. Mais elle a un talisman spécial qui l’inspire :
— C’est une photo de mon grand-père… Il vient u Donetchyna , [sur la photo] il porte une chemise brodée, il est beau, intelligent… Quand je n’ai pas de force, j’imagine ce qu’il dirait de tout cela… Et puis je le fais ! Je me lève et je vais faire ce qui doit être fait.
En général, les attributs ukrainiens sont un soutien moral, bien qu’il soit très difficile de préserver les traditions sous l’occupation. Les Mavkas disent qu’elles ne le font qu’en famille, jamais publiquement. À Pâques, elles peignaient des pyssankas, en hiver, elles célébraient la Saint-Nicolas et Noël. Elles le font discrètement, car aujourd’hui, la lutte ouverte dans les territoires occupés, comme au début de l’invasion russe, n’existe pas. Les envahisseurs répriment toute tentative de résistance, bien que, selon la Deuxième Mavka, les gens conservent certaines habitudes :
Pyssankas
Les œufs de Pâques traditionnels ukrainiens ayant les motifs complexes comme une décoration que l’on peint en utilisant la technique en réserve de cire.— Par exemple, j’ai vu des personnes à l’hôpital s’adresser au personnel en ukrainien. Ils ne comprenaient même pas que c’était interdit, leur langue maternelle. Vous auriez dû voir l’agacement des médecins qui venaient de Russie. Ils les ont même menacés. Ainsi, nous avons eu une ukrainisation gentille, et maintenant c’est une russification forcée.
L'argent de Mavka avec les inscriptions «Les banques russes n'ont pas leur place ici» (en haut) et «La Crimée, c'est l'Ukraine» (en bas). Source de la photo : chaîne Telegram « Zla Mavka »
L'argent de Mavka. Source de la photo : chaîne Telegram « Zla Mavka »
Les occupants russes sont généralement en colère à la moindre mention de l’ukrainien. Les Mavkas voient que les Russes sont venus pour imposer leur façon de vivre et éradiquer toutes les coutumes et lois locales. Ce sont même des lettres ukrainiennes uniques « ї » et « є » qui font peur aux envahisseurs, ainsi que l’histoire et l’identité ukrainiennes en général. « Zla Mavka » rappelle aux Russes qu’ils ne sont là que temporairement et qu’ils n’arriveront pas à supprimer l’identité ukrainienne. La Première Mavka souligne :
— Tu as beaucoup plus de pouvoir dans tes mains que tu ne le penses. Tu comprends que toutes tes actions sont importantes, et cela t’inspire. Les Ukrainiens sont vraiment cool ! Et les femmes ukrainiennes sont encore plus cool que les super-héros de Marvel.
Dans leur lutte, les Mavkas ont vu non seulement les vertus des Ukrainiens, mais aussi leur différence frappante par rapport aux Russes. Selon la Troisième Mavka, nous sommes différents parce que les Ukrainiens n’ont pas besoin des choses des autres, seulement des siennes. La Première Mavka ne voit aucune similitude entre les deux nations :
— Ils ne sont pas seulement des frères, ils ne sont même pas des lointains membres de la famille. Ils n’ont pas de culture intérieure, de goût, de pensée critique, de liberté intérieure, de soi, de dignité, de volonté, et bien d’autres choses encore. Ils n’ont pas de vérité.
La Deuxième Mavka ajoute que ce qui distingue les Ukrainiens, c’est leur sens de la liberté intérieure :
— C’est inhérent à nous. Ils ne comprennent pas que quelque chose dépend d’eux, ils sont comme des moutons qui vont à l’abattoir. Et nous sommes habitués à changer l’hetman que nous n’aimons pas.
Hetman
Titre historique désignant un chef suprême en Ukraine, désignant à l’origine le commandant de l’armée cosaque et plus tard le chef de l’État cosaque ukrainien qui existait aux XVIIe et XVIIIe siècles.« Zla Mavka » poursuit son travail dans les territoires occupés malgré tout et envisage de le faire jusqu’à la fin de l’occupation. Il s’agit notamment de montrer au monde que la résistance ukrainienne existe, que les habitants des territoires occupés n’attendent pas la Russie et n’acceptent pas de vivre avec elle :
— Nous tentons de dire ce qui se passe vraiment ici, de dénoncer les crimes de la Russie. Nous publions des journaux de l’occupation afin que le monde connaisse la vérité, que nous continuions à nous battre pour le bien ici et que nous leur demandions de continuer à se battre pour nous.
Les Mavkas appellent à ne pas oublier que les personnes sous l’occupation aspirent à retourner en Ukraine et à croire en leurs efforts pour y parvenir. Les autres groupes et mouvements clandestins sont conseillés de s’accrocher, d’être prudents et de croire en victoire de l’Ukraine. La Première Mavka rappelle :
— Le meilleur conseil nous a été donné il y a longtemps : « Luttez et vous vaincrez ». Chacun choisit sa propre voie, chacun fait ce qu’il peut et ce qu’il juge bon de faire. Le plus important, c’est que nous ayons le même objectif : l’Ukraine !
Et la Deuxième Mavka nous rappelle que le plus effrayant c’est de rester et vivre sous l’occupation, alors il ne faut pas s’arrêter :
— Que ces monstres russes voient chaque jour que nous ne pouvons pas être brisés et que nous ne serons jamais des « Russes ».